AU CAMP DE GERA.
Témoignage d’Andrée ZANDANEL épouse WOLFF
15 rue Sainte Marie – 57280 MAIZIERES LES METZ.
 
« Pour nous, ça a commencé par une longue marche de Silvange à Woippy, escortés par des SS. Le mari de ma marraine  a osé protester, il a été presque battu à mort à coups de crosse. A Woippy, on nous a fait monter dans un train à bestiaux. Je ne sais pas combien de jours a duré ce voyage, mais je sais que nous avons été bombardés plusieurs fois et que notre train était le dernier pour l’Allemagne, les ponts sur le Rhin ayant été détruits. Je me souviens aussi que le train était très long et que nous étions donc de très nombreux évacués à aller travailler dans les usines allemandes. Nous étions debout, serrés les uns contre les autres.  Il y avait une petite fenêtre tout en haut et de temps à autre mon frère nous y portait, nous les plus petits, pour nous permettre de respirer.
Après de longues heures, le train s’arrêta. Les portes s’ouvrirent et on nous a dit de descendre. Nous étions à Erfurt. Là, séance de toilette et d’épouillage, les petits garçons et les hommes d’un côté, les petites filles avec les femmes de l’autre. Nous étions sous des douches communes. C’est là que j’ai vu pour la première fois ma maman toute nue, elle était tellement gênée qu’elle n’a pas pu s’occuper de nous. Bien propres,  on nous a copieusement aspergés de poudre pour détruire les poux et les puces, et puis on nous a envoyés dans un camp à Géra.
Le camp était situé dans l’enceinte de la firme  « Todt ». Mon papa, mes deux frères et mes trois sœurs y travaillaient, ça nous permettait de survivre. Nous couchions sur des paillasses dans des lits superposés, à cinquante dans un grenier. Les poux et les puces nous ont très vite envahis, nous nous levions le matin avec des cloques sur tout le corps. Dans le réfectoire où nous mangions, il y avait une grande cuisinière sur laquelle cuisait lentement dans une dizaine de grands faitouts notre déjeuner. Si par malheur il y avait une alerte à la bombe, nous courions nous réfugier  dans une cave toute proche.  A notre retour, notre viande avait disparu, tombée sans doute dans un estomac encore plus affamé que le nôtre. Je dois reconnaître que les Allemands n’étaient pas tous mauvais.  Ils voyaient bien que nous avions froid sous nos loques, alors en cachette ils nous donnaient des vêtements chauds qui nous dépannaient bien.
A Géra entre deux bombardements, notre vie n’était pas trop mal. Quand les parents n’avaient rien à manger pour nous, ils nous envoyaient “Stamm essen”.  C’était une espèce de fast-food. On mangeait sur le pouce et ça ne coûtait pas cher! Il nous arrivait aussi d’aller au cinéma, ça c’était nouveau pour nous! Tout ça entrecoupé d’alertes à la bombe. Nous filions alors vite dans la cave la plus proche. Dans ces caves il y avait quelques places assises. Nous les enfants, nous nous asseyions à terre et quand les bombes tombaient à proximité, le sol se mettait à trembler et nous nous relevions vite.
Les mois passèrent avec les alertes à la bombe et nos fuites vers un abri creusé par les réfugiés dans la roche en dehors de la ville. Je me souviens que ma mère nous habillait  alors qu’il n’y avait encore pas d’alerte.  Elle nous disait : « Allez tout doucement vers l’abri et quand l’alerte retentira vous rentrerez et vous garderez quelques places assises ». J’avais des galoches aux pieds, et j’aimais les claquer au sol, ce qui faisait alors avec celles de mes frères, un bruit de cheval au galop. J’aimais beaucoup mes galoches. Elles étaient noires  toujours bien cirées, elles avaient des semelles en bois. Nous avions souvent faim mais à onze,  il y en avait toujours un pour trouver quelque chose à manger.
Puis un jour on nous a dit : «  Prenez vos dispositions, vous allez rester trois jours dans un abri. Les Américains arrivent ! » On nous a donné du pain, du saucisson, de l’eau et quelques heures après, ça  a commencé! Des bombardements pendant trois jours! A chaque bombe on croyait que l’abri, allait être détruit!  Il faut dire que notre abri était dans l’usine où travaillaient toutes les familles et comme les Américains commençaient par détruire toutes les usines, nous étions donc en première position. La terre tremblait, nous étions serrés les uns contre les autres avec la peur au ventre. C’était infernal et cela pendant trois jours et trois nuits.  Et puis tout à coup, il y eut un grand calme. Les grands garçons risquèrent un oeil dehors …Ils revinrent en s’écriant : «  Les Américains sont là! ». Nous sommes alors tous sortis, il n’y avait plus une maison entière, tout était par terre, toute la ville brûlait. Il y avait un coin d’une maison qui n’était pas tombé et au cinquième, sur un balcon, une dame  hurlait en demandant de l’aide.  Cette jolie ville avec beaucoup de belles bâtisses était complètement anéantie : il ne restait aucune maison, tout était à terre ou en feu. Le camp où nous habitions était à moitié détruit, la partie où nous étions était encore habitable.  Nous nous sommes donc réinstallés.
En juillet ou août on nous a rapatriés.  En octobre je suis rentrée pour la première fois à l’école française,  j’avais alors 9 ans et trois mois. »
 
 
Note de Stéphane Marcinka : ( Wikipédia)
Le 6 avril 1944, Gera subit un bombardement terrible : l’ancienne résidence des princes, le château d’Osterstein, par exemple est totalement détruit. 300 immeubles et 54 entreprises sont rayés de la carte et 142 habitants trouvent la mort.
Le 13 avril 1945, une marche de la mort venant du camp tout proche de Buchenwald traverse la ville qui est occupée par les troupes américaines le lendemain.

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