Moselle Le Républicain Lorrain
Camp harkis de Cattenom : le combat d’une famille pour obtenir réparation
Comme des milliers de rapatriés, Allaoua B. et sa famille ont été bien mal récompensés de leur engagement pour la France. Aujourd’hui ses filles se battent pour obtenir une pleine réparation des discriminations subies.
Hervé Boggio – 09 nov. 2024

Allaoua B., chevalier de l’Ordre national du Mérite a passé 7 années au camp de Cattenom avec sa famille. Une situation injustifiable autant que préjudiciable pour laquelle ses filles demandent réparation. 

Chevalier dans l’ordre national du mérite, Allaoua B. a donné plus de 15 ans de sa vie à l’armée française et servi notamment en Algérie, pendant la guerre d’indépendance. Malgré ce parcours exemplaire et son statut de militaire de carrière, ce dernier connaîtra avec sa famille, le même sort que de nombreux harkis après son rapatriement en métropole. Ainsi, de 1962 à 1969, il résidera avec son épouse et ses filles au camp de Cattenom, dans des conditions indignes. À la différence de la centaine de supplétifs et leur famille qui partagent alors ces logis insalubres, Allaoua continue à saluer le drapeau chaque matin dans la cour du 25e régiment d’artillerie, alors installé à Thionville, où il poursuit sa carrière, en charge notamment de la formation des nouvelles recrues. Sous-officier, il n’est pourtant pas logé avec les cadres.

Maladie de Bouillaud

Dans ce camp aujourd’hui disparu – il était implanté sur les emprises militaires qui accueillent la centrale nucléaire de Cattenom – la vie est dure, les logements précaires. « Il y avait des rats, des punaises, le chauffage fonctionnait mal. C’était sordide », explique Mireille B. la fille cadette d’Alloua, aujourd’hui décédé.
Celle-ci, revenue dans l’Est après une carrière en région parisienne, a bataillé ferme pour obtenir des explications et surtout une indemnisation pour ces années de camp. Un combat âpre puisque, et c’est un comble, son « père étant soldat de métier et non harki», le droit à indemnisation a d’abord été dénié à la famille B. Une situation kafkaïenne que seule la volonté de Mireille et de sa sœur Mounira a permis de débloquer, une indemnité étant accordée après deux ans de combat. Mais là n’est pas tout car, Mounira, à l’âge de 7 ans, a contracté la maladie de Bouillaud au sein du camp. Cette dernière en garde, aujourd’hui encore, des séquelles, cardiaques et articulaires sévères. « Pour ma sœur, la perte de chance a été terrible. À cause d’un camp où nous n’aurions jamais dû mettre les pieds ! »

Jusqu’à la CEDH

Une situation que l’administration considère différemment. Interpellé sur ce dossier, l’Office national des anciens combattants et victime de guerre (Onac-VG) , indique sobrement par la voix d’Alexandre Montagna, en charge de la communication et de la prospective : « La famille B. a déjà perçu une indemnisation dans le cadre de la loi de réparation[…). À la suite de cette décision, Mme Mireille B. a déposé une demande de réexamen du dossier de sa sœur en août 2024 […). Cette demande nous est bien parvenue[…] et est en cours d’étude ». Point. Mais Mireille B. est pugnace :« Je ne lâcherai pas, même s’il faut aller devant la cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ».

Parcage discriminatoire

Avant cela, elle est décidée à remuer ciel et terre : celle-ci a écrit aux députés Karl Olive et Laurent Jacobelli, s’est adjoint les services d’un avocat parisien, Me Antoine Ory, et veut faire connaître, au­ delà même du destin de sa famille, celui d’une large majorité des rapatriés d’Algérie extra-européens, militaires de carrière et harkis. « Pour moi le déclic a été la loi du 23 février 2022, portant reconnaissance de la Nation et réparation des préjudices subis par les harkis. Après le mal que nous avons eu à faire reconnaître simplement nos droits, je veux aller au bout : pour ma sœur mais aussi pour faire reconnaître que nous avons été victimes d’un parcage abusif et discriminatoire fondé uniquement sur notre origine. »

Laurent Jacobelli: « Des moyens insuffisants pour des délais acceptables »

Laurent Jacobelli, député de la Moselle, est l’un des deux parlementaires, avec Karl Olive, saisit par Mireille B. pour alerter sur la situation singulière de sa famille et au-delà, sur celle de nombreux rapatriés non-européens.

« On privilégie une approche administrative, avec tout ce qu’elle peut avoir de rigide, là où il faut de l’humain. Dans le cas de cette famille, c’est plus saisissant encore puisque l’on a affaire à un homme qui avait choisi de combattre pour la France et en a fait son métier… » Laurent Jacobelli a suivi le cas particulier de la famille B. Mais à travers elle, c’est bien le manque de reconnaissance et l’attitude du pays face à ceux qui se sont engagés pour lui, qu’il pointe du doigt.

« Délais acceptables »

« Il y a globalement beaucoup trop de difficultés à faire reconnaître les cas. Jusqu’à la qualification des camps retenus et pas, en prenant en compte des critères qui peuvent apparaître pour le moins… subjectifs. En termes de moyens, nous ne sommes pas à la hauteur. Et je parle de moyens financiers aussi bien d’administratifs », reconnaît le parlementaire.
Car si tant de familles passées par les camps ont aujourd’hui le sentiment qu’on les « balade » en attendant que le nombre des ayants droit diminue naturellement, c’est bien que « les délais de traitement des dossiers, la complexité des procédures, etc… sont inappropriés. Je suis convaincu qu’il n’y a ni cynisme, ni même volonté de faire traîner : c’est simplement que les agents en charge ne sont pas assez nombreux pour assurer des délais de traitement acceptables. »

« Indemnisation à la hauteur »

Une position défendue par le Rassemblement national plus largement : « La récente condamnation de la France par la Cour Européenne des droits de l’Homme le souligne : ceux qui ont fait le choix de la France méritent une reconnaissance et une indemnisation à la hauteur de leur engagement et de leur sacrifice, ainsi que de celui de leur famille. Les moyens doivent être engagés pour le faire dans un délai raisonnable, c’est précisément ce que j’ai demandé au ministre le 30 octobre dernier »

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