Jeanne et Jean PHILIPPEAU
Arlette TESTYLER

Les époux Philippeau

Arlette REIMAN (photo Yad Vashem)
Années 1928-1930, une famille juive originaire de Pologne vient s’installer à Paris (3ème), 114 rue du temple, quartier du Marais. Ce sont Abraham et Malka REIMAN, qui se sont connus à 14 ans, et leurs 2 filles Madeleine (1932) et Arlette (30 mars 1933). Le père est fourreur, né le 26 octobre 1904 à Velytki-Mosti (Pologne/Est), la mère est née à Tartakow (Lituanie).

Abraham militaire
La famille s’est vite intégrée dans la société française, tout en suivant leur religion. Les filles nées en France sont fières de leur identité française.

Malka et ses filles
Abraham le père, prudent, s’engage à la déclaration de guerre en 1939 dans l’armée française au 28ème bataillon à le Barcarés (Pyrénées-Orientales). La vie continue pour la famille, le père est revenu et reprend son métier qui prend de l’essor. Bien que les juifs n’aient pas le droit d’exercer des métiers de commerce., il sera d’ailleurs, bientôt dépossédé de ses machines. Les enfants vont à l’école, portent l’étoile jaune. Arlette veut aller jouer au square proche, le gardien l’en empêche, « tu ne rentres pas », lis la pancarte : « interdit aux juifs et aux chiens ». Un immense choc indicible pour Arlette.
14 mai 1941 : tous les ressortissants juifs étrangers reçoivent une convocation avec l’obligation de se présenter au commissariat proche, rue Beaubourg, pour contrôle d’identité. Abraham décide d’y aller malgré la mise en garde de Malka son épouse. Je ne risque rien, répond-il, j’ai fait mon service militaire, je suis confiant. Arrivé sur place accompagné, une obligation, de sa femme et de ses 2 filles, il est immédiatement arrêté : c’est la fameuse, si l’on peut dire, « rafle du billet vert » (3 700 hommes arrêtés). Il est envoyé au camp de Pithiviers.
Abraham ira parfois travailler à l’extérieur dans une ferme, il aurait pu s’évader, mais il ne voulait pas, il faisait confiance à la France.
Malka et ses 2 filles se retrouvent donc seules. Elle décide de se rendre à Pithiviers par le train pour essayer de voir son mari Abraham. Par un pur hasard elle croise une dame Mme Schiffmacker1 dont le mari, gendarme alsacien, est gardien au camp de Pithiviers. Elles sympathisent et échangent quelques propos. Ce gendarme lui permettra de voir parfois son mari à travers les barbelés. Ce couple va prendre en charge la famille REIMAN pendant 3 semaines, l’éloignant ainsi de Paris pour un certain temps. Les filles vont au catéchisme au patronage et à l’école, leur mère étant repartie à Paris.

Arlette à gauche, Madeleine à droite
16 juillet 1942 : rafle du « Vel d’hiv » il est 6 h, la police française frappe avec force à la porte, ils viennent arrêter Abraham. Sa femme Malka leur signale qu’il a déjà été arrêté, interné à Pithiviers puis parti vers une destination inconnue. Et pourtant ils ont une liste bien renseignée, pratique déstabilisante ? Tant pis, ils arrêtent Malka et les deux filles qui sont revenues de chez les Schiffmacker. Malka se rebelle, leur jette ce qui lui tombe sous la main mais rien n’y fait évidemment. 3 autres familles du bâtiment seront aussi embarquées, ils étaient venus avec plusieurs camions, direction le Vel d’Hiv pour quelque temps. Plus de 13 000 arrestations dont 4 000 enfants ce jour-là à Paris.
Un matin, un autobus emmène tout ce monde à la gare d’Austerlitz, puis la police l’invite, avec force, à monter dans des wagons…à bestiaux dans des conditions que vous devinez ou connaissez. Départ vers le camp de Beaune la Rolande (Loiret). Malka toujours en colère, trouve le moyen d’écrire un mot adressé à ses voisins non-juifs pour les avertir de leur sort. Ce mot elle le roule dans un petit billet entouré des cheveux pris à une des filles, et jette ce S.O.S sur la voie. Il sera trouvé par les cheminots et transmis au destinataire.
Au camp de Beaune, Malka fulmine toujours et va utiliser un stratagème : faire croire à un gardien allemand qu’elle a gardé chez elle quelques trésors et une machine de son mari, lui montre son « Aussweis » et s’il la libère avec ses 2 filles, ce sera sa récompense. L’appât du gain fait que cela fonctionne, elles sont libérées puis on leur demande de monter dans un wagon « normal » en partance pour Paris. Elles vont y monter, le train part mais il ralentit. Malka et ses filles vont descendre, se glisser dehors et ainsi s’échapper. Elles rejoignent la capitale à pied. Malka ne fulmine plus, elle jubile.
Malka possède un « Ausweis » car elle travaille pour l’occupant, fabrication de vêtements pour la Wehrmacht. En contrepartie on lui promet d’accorder une permission de sortie à Abraham son mari. C’est bien sûr faux, Abraham n’en aura jamais.
Août 1942 : Jeanne enlève aux filles, leur étoile jaune. Elle les emmène près de Vendôme, à Pezou (Loir et Cher) chez un certain Mr Papon qui cache déjà 3 autres enfants : Lili, Dédé et Paulette grâce à l’OSE2. Quelques jours après les 2 filles partent à Vendôme (Loir et Cher) 76 rue de la Mare chez la famille Philippeau hébergeant déjà un garçon Simon Windland. Leur mère Malka les rejoint, elle parle français mais avec l’accent polonais, elle se dit alsacienne pour couvrir ce fait. Elle travaille dans une ferme comme cuisinière et couturière.
Le danger est tout près car la « Feldkommandantur » se trouve dans cette rue. Parfois un homme de la Wehrmacht dit bonjour à cette petite fille blonde, yeux bleus !. Un soldat allemand de retour de permission lui a même rapporté une poupée. Jeanne se ravitaille dans les fermes environnantes, mais n’est pas tranquille pour ses protégés. Les gens sont au courant, l’institutrice, le curé. La famille d’accueil ne peut plus les garder. Par prudence la famille quitte cette maison et se réfugie dans les grottes de Vendôme, beaucoup plus sûres.
Malka retourne à Paris mais trouve son appartement occupé, elle en loue donc un de 2 pièces, dans le 14ème. Elle se rend chaque jour à l’hôtel Letitia consulter les listes des déportés rentrant des camps, en espérant voir le nom de son mari sur une de ces listes…Rien.
La famille Philippeau, dont le père Jean handicapé, travaille dans une usine de sabots et la mère Jeanne nourrice est en relation avec l’organisme l’OSE. Les filles y sont restées 2 ans jusqu’à la fin de la guerre. Elles n’allaient pas à l’école, car pas d’instituteurs, ils sont mobilisés. Donc de saines occupations : jardinage, découverte de la nature, de réelles leçons de sciences naturelles en fait.
Malka a appris plus tard, 1945, par 2 rescapés d’Auschwitz que son mari Abraham y a été déporté par le convoi n° 4 le 25 juin 1942. Elle se réfugiera dans le silence, aura même un malaise puis se laissera mourir de chagrin en janvier 1946.
Le fils de Jeanne et Jean a appris tardivement le rôle joué par ses parents pendant la guerre. Il a fallu 7 demandes, temps de vérification et d’enquêtes, de la part d’Arlette et de sa sœur pour qu’enfin le couple soit reconnu « Juste parmi les Nations » le 24 août 2022 avec remise officielle le 16 juin 2023. Enfin une reconnaissance justifiée pour les discrets Jeanne et Jean Philippeau.

Arlette Testyler lors d’un récente interview
Arlette Testyler3 devenue Pupille de la Nation a perdu le contact avec la famille Philippeau, elle est devenue Présidente de l’Union des déportés Auschwitz.

porte plume fait par Abraham pour sa fille Arlette
Distinctions d’Arlette :
- Chevalier de la Légion d’honneur, 2011.
- Commandeur des Palmes Académiques, 2025
Un livre : « J’avais 9 ans quand ils nous ont raflés »
Notes :
1°) couple qui a aidé plusieurs familles de réfugiés.
2°) Organisation de Secours aux Enfants
3°) Arlette s’est mariée avec Charles Testyler, rescapé d’Auschwitz, dont les parents y ont été exterminés. Le couple a fondé l’association « Mémoire et Vigilence ». Ils poursuivent leur mission de mémoire, visitent les établissements scolaires et ont emmené 15 fois des lycéens à Auschwitz. Arlette y a d’ailleurs récupéré l’acte de décès de son père, interné « barak » 28.
Sources : divers sites internet
NDLR : un vibrant témoignage, qu’il faut transmettre, en mémoire des 4 millions d’enfants disparus, vœu d’Arlette Testyler. Un message que j’adresse à notre jeunesse française. Restons vigilants.
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