29 Août 1944 : le massacre de la vallée de la Saulx, cette tragédie mal connue de la Libération en Meuse.

Le Républicain Lorrain

Dans quelques jours la vallée de la Saulx, dans la Meuse, va se recueillir. Et se souvenir d’un sordide épisode de l’Histoire. C’était il y a 80 ans. Ce 29 août 1944, des soldats de l’armée allemande tuaient 86 personnes dans cinq villages, principalement à Robert-Espagne et Couvonges. Des représailles menées après une action de la résistance.

Le souvenir de ce tragique évènement demeure localement très fort. On vous le raconte.

29 août 1944

La vallée de la Saulx martyrisée

L’histoire mal connue de l’exécution de 86 habitants par l’armée allemande en Meuse.

Lors des représailles qu’ils mènent suite à une action de la résistance de la Wehrmacht vont tuer 86 personnes dans cinq villages et principalement à Robert-Espagne et à Couvonges.

A défaut d’une reconnaissance nationale, le souvenir de cet évènement demeure localement fort.

Il a fallu l’étude de l’historien Jean-Pierre Harbulot pour mieux l’appréhender.

86 victimes dans 5 villages 

Le 29 août, la vallée de la Saulx , dans la Meuse, va se recueillir comme chaque année. En 2024, on commémore le 80 -ème anniversaire du massacre qui, en 1944, a fait 86 victimes dans le villages de Robert-Espagne(50), Beurey-sur-Daulx(1), selon le décompte établi par l’historien Jean-Pierre Harbulot. Certains disent 88 en associant deux autres victimes, décédées après.

 

On doit à cet universitaire de Bar-le-Duc une étude historique sur ce qu’il s’est passé lors de cette tragique journée (” Les massacres du 29 août 1944 dans la vallée de la Saulx et leurs suites judiciaires “ dans l’ouvrage Meuse en guerres):

Des choses vérifiées “, assure-t-il. L’historien Jean-Pierre Harbulot

Sans doute l’évènement n’a-t-il pas la notoriété des tueries comme à Oradour-sur-Glane, Maillé, Tulle ou Ascq…Au plan national, c’est sûr. Même si l’on se souvient que lors de la venue à Couvonges, en 2019, pour la cérémonie officielle de la commémoration, la secrétaire d’Etat auprès des armées, Geneviève Darrieussecq avait déclaré : “La tragédie de la vallée de la Saulx y est inscrite aux côtés de tous les autres massacres perpétrés sur des civils. Oui, les villages martyrisés du Pays Barrois sont un lieu de notre mémoire nationale “

Le préfet de la Meuse, Alexandre Rochatte et Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’état auprès de la ministre des armées à Couvonges en 2019.

Il s’agit d’un des massacres les plus importants commis par les Nazis, le plus important par la Wehrmacht à cette période de la Deuxième Guerre mondiale. 

Localement, c’est évènement dont le souvenir demeure très fort.

La cérémonie du 75ème anniversaire du massacre de la vallée de la Saulx à Robert-Espagne

Un massacre commis à la veille de la Libération de la Meuse

.. Il y a beaucoup d’impatience depuis le débarquement, d’espoirs. »

Le 29 août 1944, on est à la veille de la Libération de la Meuse, qui aura lieu les 31 août et 1er septembre. « On se dit que c’est pour bientôt, on sait que Paris a été libéré le 25, on a l’information », expose Jean-Pierre Harbulot. « On attend, mais l’attente peut être longue, c’est sujet à de l’inquiétude. Il y a beaucoup d’impatience depuis le débarquement, d’espoirs. On se dit que c’est le moment ou jamais de passer à l’action, d’où la croissance dans notre région des maquis.» C’est le cas dans de nombreux bois, à l’instar de la vaste forêt de Trois-Fontaines, où l’on trouve des fermes qui servent de points d’appui aux résistants, de refuge aussi pour quelques aviateurs abattus et des commandos anglais. « Ce ne sont pas toujours des maquisards permanents », notamment jusqu’au printemps 1944.

« Les Allemands savent bien que c’est une zone dangereuse. »

 

Une zone de repli pour freiner l’avancée des alliés

Face à l’avancée des alliés, la question pour eux, c’est « jusqu’où se replier pour constituer une ligne de défense ? Entre Paris et l’Est, ce n’est pas facile. Une possibilité, c’est la Meuse, mais ce n’est pas évident. Après il y a la Moselle… »

–    Ils vont aller de village en village pour s’assurer qu’il n’y a pas d’îlots de résistance. »

Hitler ne peut pas se permettre de consommer trop de divisions. « Il en a perdu en Normandie, il lui en reste quelques-unes. » L’objectif, c’est de se replier, mais sans que ça soit trop visible. Et « de rapatrier les divisions qui sont encore en état. » Il faut leurrer l’ennemi, l’objectif assigné au 29e régiment de Panzergrenadiers qui remonte d’Italie pour positionner ses troupes dans la région de Bar-le­ Duc/Saint-Dizier. « Ce sont des unités d’infanterie mécanisées, ils n’ont pas de gros chars », mais des véhicules semi-chenillés qui peuvent leur permettre de bouger rapidement.« Ils vont aller de village en village pour s’assurer qu’il n’y a pas d’îlots de résistance. » Une partie se retrouve dans la vallée de la Saulx. « Ces renforts arrivent les 27-28 août. »

Des représailles après une attaque de résistants

Le lendemain, « c’est le début de leur mission, qui n’est pas de massacrer les habitants, mais d’aller vers l’Ouest au-devant des Américains, sans devoir engager le combat. Il faut montrer qu’ils sont là. » Des points de cantonnement ont été préparés.

« Rien ne laisse présager qu’il y aura un drame de cette ampleur. La mission ne regarde en rien les endroits où ils sont stationnés, ils s’apprêtent à avancer vers Vitry-le-François. »

Au petit matin du 29 août, vers 8 h 30, un de leurs convois circule dans la forêt à proximité de Robert-Espagne, il se fait tirer dessus par un petit groupe de résistants locaux non loin du tunnel ferroviaire de Baudonvilliers qu’ils avaient ciblé afin de provoquer un déraillement de train, une opération qui s’inscrit dans une série de tentatives de sabotage comme celle qui avait échoué deux jours auparavant. Cette action va déclencher des représailles. « Elle est bien connue grâce à un rapport de gendarmerie » établi après la Libération.

« La décision est prise même si elle retarde la mission. Vu qu’il n’y a peut-être pas de morts mais au moins un officier blessé » qui se fait soigner à la pharmacie de Robert-Espagne, « il faut riposter ». Les Allemands « décalent leur mission d’une journée pour consacrer cette journée à châtier les populations en visant les hommes en âge de prendre les armes ».

Des maisons incendiées, les hommes abattus

Les hommes sont rassemblés avant d’être exécutés de manière expéditive par des mitrailleuses. »

Le MG 42 a été largement utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale, devenant la mitrailleuse standard des unités d’infanterie allemandes.

Il y a blocage des villages, avec interdiction d’y entrer, interdiction d’en partir. À midi, à Robert-Espagne, c’est le début de la rafle. « Midi, c’est l’heure où les gens mangent, on sait que l’on va trouver les hommes. Les maisons sont fouillées une à une. » À Beurey, le bourg voisin, il y a un encerclement. « Mais les circonstances sont un peu différentes », précise Jean-Pierre Harbulot. Plusieurs Malgré-nous incorporés dans les Panzergrenadiers, « et on le sait par le témoignage d’un résistant », vont prévenir les habitants du danger. Ce qui explique un nombre de victimes moindre.

En haut: juste après l’incendie à Robert-Espagne. Le village est presque totalement détruit en 1944 (collection Julien Wandkle). En bas: cérémonie devant le tertre des fusillés en 2019.

« À Couvonges, ce n’est pas le cas. Les hommes sont regroupés. »

À Mognéville, aussi, dans la mairie.

En même temps qu’ils procèdent à la rafle des hommes, les soldats allemands, en faisant le tour des communes, lancent des plaquettes incendiaires. « Des maisons brûlent, parfois massivement comme à Robert-Espagne. À Beurey-sur-Saulx, c’est de-ci de-là. Couvonges est détruit presque totalement. À Mognéville, ce ne sont que quelques maisons. »

En haut : Couvonges détruit. En bas : le mur où 26 hommes furent froidement fusillés.

L’après-midi, sur les coups de 15 h, à Robert-Espagne et Couvonges, les hommes sont rassemblés avant d’être exécutés de manière expéditive par des mitrailleuses. À Robert-Espagne, c’est un terre­ plein renommé après la guerre le Tertre des Fusillés, après qu’ils ont été regroupés place de la Gare. À Couvonges, c’est un terrain à l’écart. Dans ces deux villages, sera édifié à ces endroits un monument commémoratif avec des croix faites de poutres calcinées provenant de leurs décombres. À Robert-Espagne, il y a aussi des tombes de victimes dont les familles ont voulu qu’elles reposent là et pas ailleurs.

 

En haut : l’église de Beurey-sur-Saulx en 1944. détruite. En bas: cérémonie en 2019

La commune de Mognéville épargnée grâce au notaire

À Beurey, les six victimes sont une jeune fille et cinq personnes âgées abattues devant des maisons en flamme, sans avoir eu le temps de sortir de chez elles, ou tuées dans une tranchée-abri. À Mognéville où donc les hommes avaient été enfermés dans la mairie, l’intervention de Me Rouy s’avère décisive : parlant allemand, ce notaire à Revigny-sur-Ornain parlemente longuement et parvient à éviter une tuerie. Mais les Allemands cueillent deux hommes qui sortaient de leur maison incendiée et les alignent pour les descendre ; l’épouse de l’un des deux prend une balle dans le ventre en tentant d’implorer de ne pas tirer.

Des fusillés à Robert-Espagne.

À Trémont-sur-Saulx, que l’on associe au massacre mais que l’on ne considère pas comme un village martyr, une rafale de mitraillettes d’un convoi de soldats du 29e régiment de Panzergrenadiers qui passait par là fauche la jeune Marie-Louise Caron, 16 ans, dans un champ : elle revenait au village en compagnie de son petit frère Jean, une fois un cheval conduit hors du village comme leur père leur avait demandé. Le garçon a eu la vie sauve quand sa sœur a été mortellement blessée.

Depuis ce terrible 29 août 1944, chacun des villages tient à honorer tous les ans les siens. Le 29 août et pas un autre jour.

L’œuvre de soldats de la Wehrmacht,

Pas des SS

C’est une troupe de soldats décidés, soudés autour de leur chef 

Qui sont les auteurs de ce massacre ? On a longtemps répété, à tort, que c’était des SS comme ;pour d’autres massacres importants ailleurs en France, dont celui d’Oradour-sur-Glane. L’historien Jean-Pierre Harbulot avait été obligé de rectifier l’article relatif au massacre de la vallée de la Saulx sur Wikipédia qui le mentionnait, après avoir découvert qu’il avait été perpétré par des soldats de la Wehrmacht.

Et en l’occurrence du 29e régiment de la 3e division de Panzergrenadiers. « On n’avait pas affaire à des soldats démobilisés », précise-t-il. « Cette division avait fait la Russie, avec vraisemblablement pas mal d’exactions. On sait qu’elle en a aussi commis en Italie, dans la région de Cassino, au nord de Naples, dans le village de Caiazzo où il y a eu 22 victimes civiles. »

Avant que cette unité ne quitte l’Italie, où elle était arrivée en 1943, à partir du 23 août 1944, son chef lui fait adopter, à Vérone, un nouvel emblème : La croix de Brandebourg, que l’on pourrait confondre, sans faire suffisamment attention, avec la croix de Lorraine.

                La croix de Brandebourg

« C’est une troupe de soldats décidés, soudés autour de leur chef », explique Jean-Pierre Harbulot. « Pour eux, la France est un pays hostile. Ils n’en ont rien à faire de considérer tout un village comme un village de partisans et de le prendre en otage. » Il ajoute : « La Wehrmacht semblait tenue par les lois de la guerre. À partir de 1944, ce n’est plus le cas, notamment par rapport aux civils. »

En tombant, lors de recherches à Vincennes, sur un livre retraçant l’histoire de la 3e division d’infanterie, Jean-Pierre Harbulot aura confirmation du passage par Robert-Espagne. « C’est très précis sur les dates, les mouvements des troupes, mais il n’est pas fait mention du massacre.»

Autre erreur que l’on a pu faire en pensant qu’il s’agissait de soldats de l’Afrikakorps parce qu’ils portaient des shorts jaunes. « On avait vu aux actualités allemandes ces tenues couleur sable, les chemisettes..» Après que l’Afrikakorps avait été défait, on les avait données aux hommes qui se trouvaient en Italie.

 

Couvonges détruit

Seize autres victimes dans la Marne le même jour

Toujours le 29 août, le 29e régiment de Panzergrenadiers fait 16 autres victimes dans deux villages marnais limitrophes de la Meuse : 3 à Cheminon, 13 à Sermaize-les-Bains, que Jean-Pierre Harbulot comptabilise dans le tableau publié dans son livre Bar-le­ Duc 1944-1945: Occupation, Résistance, Libération (Dossiers Documentaires Meusiens), dans lequel il consacre plusieurs pages au massacre de la vallée de la Saulx.

..Les Allemands passent. Chauffés à blanc, ils mitraillent. »

« C’était sur la route pour aller vers l’ouest. » À Cheminon, un homme meurt dans l’incendie de sa maison ; deux femmes sont mortellement blessées suite à un mitraillage, décédant peu après. À Sermaize, pas de rafle. « Les Allemands passent. Chauffés à blanc, ils mitraillent. » Dix personnes se trouvent abattues dans la rue, dont un motard ; trois autres sont touchées et succombent ultérieurement.

Pour Jean-Pierre Harbulot: « C’est la mémoire de la vallée de la Saulx qui va même au-delà de la Meuse. Cheminon.et Sermaize relèvent du même massacre. Et on pourrait aller plus loin..»

Les criminels jugés par contumace :

des condamnés à mort qui n’ont jamais  été exécutés

Le massacre de la vallée de la Saulx sera évoqué lors du procès de Nuremberg, qui s’ouvre en novembre 1945. 

Avant même la fin de la guerre, le gouvernement provisoire crée un service de police pour rechercher les criminels de guerre. « Dans la perspective d’un jugement », explique l’historien Jean-Pierre Harbulot, « puisque les alliés se sont mis d’accord pour organiser un procès.»

Le massacre de la vallée de la Saulx sera évoqué lors du procès de Nuremberg, qui s’ouvre en novembre 1945. « Mais il a été préparé en amont. Il y a des enquêtes partout. Et la vallée de la Saulx est en bonne place. On parle de Robert-Espagne très brièvement à Nuremberg. Mais l’instruction n’est pas terminée, pas complète. »

Procès de Nuremberg

Pour la vallée de la Saulx, la difficulté va être d’identifier ceux qui ont commis le massacre. « En matière juridique, il faut une mise en cause d’individus, recueillir des témoignages. Ça demande un travail qui prendra énormément de temps. » La première chose reste d’identifier l’unité responsable. « Si les enquêteurs y parviennent assez vite, la complexité, c’est de retrouver les soldats. »

La consultation assez récente des archives des enquêtes de la justice militaire retrace toute cette activité. « C’est seulement en 1950 qu’on parvient à produire un acte d’accusation, avec une liste des personnes incriminées. » Elles ont été jugées par contumace avec des condamnations à mort prononcées, des peines qui n’ont jamais été exécutées. « Ça été jugé par le tribunal militaire de Metz, mais il n’y en a aucune trace dans la presse, ce qui reste pour moi un mystère. »

« C’est important de dire qu’il s’agit du massacre le plus important de la Wehrmacht en France. Cela veut dire que tout soldat en uniforme, dans un contexte donné, peut commettre des actes qui sont de véritables crimes de guerre. »

Textes : François-Xavier Grimaud

Photos : Jean-Noël Portmann Jacques Leglaye

Archives Le Républicain Lorrain Réalisation : Support ERV

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