mardi 11 novembre 2025 Le REPUBLICAIN LORRAIN

Moselle

SARREGUEMINES

Astride Doh, fille de Malgré-nous,

« rencontre » son père 60 ans après

Aude Fayolle-Schwartz

Astride Doh n’a jamais connu son papa, Paul Victor, tombé au combat en Lettonie, sous l’uniforme allemand, malgré lui. Photo AFS

Paul Schillé, incorporé de force, est mort en Lettonie en 1945. Sa fille Astride, qui ne l’a jamais connu, découvre le nom de son père gravé sur une plaque à Saldus au plus grand cimetière de soldats allemands de la Baltique. En août, la députée Klinkert et le président du Souvenir français y ont dévoilé une plaque.

Ce mardi 11 novembre sera un temps d’émotion pour Astride Doh, 82 ans, qui vit à Sarreguemines. Le président Emmanuel Macron apposera une plaque en mémoire des Malgré-nous alsaciens-mosellans, ces Français incorporés de force dans l’armée allemande lors de la Seconde Guerre mondiale, aux Invalides. Un écho à sa vie, vécue sans ce père qu’elle n’a jamais connu.

Astride Schillé est née le 22 décembre 1943 à Sarreinsming, dans la cave de la maison des grands-parents maternels, alors que dehors deux mètres de neige envahissent les rues et que la guerre fait rage. La maison était occupée par l’ennemi. Son père Paul Victor Schillé, qui avait fait son service militaire en France, a été incorporé de force dans l’armée allemande, qui avait annexé l’Alsace-Moselle. Il est parti en 1942, son épouse enceinte. « Lors d’une convalescence, en 1944, car il avait été blessé au combat, il aurait pu s’échapper, tous ses copains l’avaient encouragé. Mais par peur de ce qu’il pouvait arriver à sa famille, comme la déportation – il y avait eu des exemples dans le village, il a fait son devoir : il est parti. »

• << Elle a senti physiquement son départ >>

La région de Sarreguemines est libérée, mais Claire n’a pas de nouvelles de son mari Malgré-nous. Son épouse le croit prisonnier. Jusqu’en octobre 1945. « Un Sarregueminois est rentré et a dit à ma mère que mon père était décédé. Longtemps, elle ne l’a pas cru. Elle n’a jamais pu faire son deuil, même après l’annonce officielle après 1949, malgré son statut de veuve de guerre et moi de pupille de la Nation. » Sa mère lui avoue même que le jour du décès de Paul Victor, elle a senti « physiquement » son départ. La vie continue, difficile. Sans ressources, ou à peine, Claire compte sur la solidarité familiale. La grand-mère, le grand-père, les oncles, les tantes se succèdent pour soutenir Astride.
« J’ai ressenti un manque à l’adolescence, se souvient-elle avec émotion. Je n’avais pas le droit de sortir avec mes amis, ma mère était très sévère. Si papa avait été là, lui qui était connu pour son bon cœur, les choses auraient été différentes… » A la maison, aucune trace de Paul Victor. Seule la photo du mariage de ses parents trône dans le salon.
Elle a une fille unique, Véronique. Aujourd’hui âgée de 56 ans, elle se souvient que sa grand-mère parlait tout le temps de la guerre, de ses turpitudes. « Maman, jamais. » Entre 2000 et 2003, la famille perd sept membres. Dont la grand-mère, Claire. « Ça a été le déclic pour rétablir la vérité », confie Véronique. Elle entreprend des recherches personnelles, en fait part à sa maman.

La famille se rend en Lettonie

Petit à petit, Véronique tire le fil de la pelote. Paul Victor Schillé est tombé à Frauenburg, aujourd’hui Broceni, en Lettonie, le 21 mars 1945. Pour en avoir le cœur net, la famille se rend en Lettonie en 2005.
« 200 000 soldats allemands et 390 000 soldats de l’Armée rouge tombent sur 2 km2. Mon grand-père est mort tout à la fin de la guerre, lors du dernier assaut. » Des contacts sur place la mènent à Dadzi. Fille et petite-fille s’y recueillent. « Ce jour-là, j’ai rencontré mon père », témoigne Astride. Un peu plus loin, à Saldus, le cimetière et son lieu de mémoire retracent les combats. Le Volksbund, service civique des anciens combattants allemands, entretient dans le plus grand cimetière militaire allemand de la Baltique où soldats allemands et Malgré-nous se côtoient. La découverte du lieu où est tombé Paul Victor par sa fille a permis qu’il soit transféré au cimetière de Saldus en 2008.
Astride retourne à Saldus en août 2024, avec sa fille et sa petite-fille Marie. « J’ai appris qu’il était mort d’un éclat d’obus dans la tête, qu’il n’a pas souffert. J’ai été émue mais joyeuse ; triste mais soulagée. J’ai retrouvé mon père. » Mais ce n’est que cette année, le 25 août, à l’initiative de la députée Brigitte Klinkert, qu’une plaque a été apposée avec l’identité du père d’Astride à l’occasion d’une cérémonie en mémoire des Malgré-nous d’Alsace-Moselle. Une première reconnaissance de la France, tardive mais ô combien importante.

               

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Alice DOH , est une fidèle adhérente de la FNAPOG de Moselle. 

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