dimanche 27 août 2023 Républicain Lorrain

Région / Lorraine

HISTOIRE

Quand un Alsacien, incorporé de force, sauva du massacre un village meusien

Nicolas Roquejeoffre

Le monument des fusillés du 29 août 1944 à Robert-Espagne. Photo DNA /Cédric Joubert

Crime de guerre méconnu, la tuerie de la vallée de la SauIx, perpétrée dans la Meuse par une unité de la Wehrmacht fin août 1944, marquera durablement plusieurs communes dont une partie de la population a été massacrée. Dans un des villages, le bilan aurait pu être plus lourd sans l’intervention d’un incorporé de force.

A la fin des années 1990, l’historien Jean-Laurent Vonau entame un fastidieux travail sur le procès de Bordeaux de 1953 (*). Pour cela, ii se plonge dans les archives de cette affaire judiciaire qui va durablement marquer l’Alsace. « Un des cartons renfermait les motions et collectes de signatures provenant de la France entière. Inutile de vous dire que la plupart étaient à charge contre les 13 Alsaciens, certains demandant les pires tortures à l’encontre des prévenus. » Dans ce lot d’injures et d’appels au meurtre, une motion attire l’attention du professeur émérite de l’Université de Strasbourg. « Elle émanait du conseil municipal d’un village de la Meuse et demandait l’indulgence pour les incorpores de force. La lettre indiquait que les habitants avaient été sauvés par des Alsaciens ».

La commune en question, Beurey-sur-Saulx, se trouve dans une vallée qui côtoie le département de la Marne. Le 29 août 1944, cinq villages de cette paisible campagne meusienne vont connaitre un véritable massacre perpétré par une unité, non pas de la Waffen SS, mais de la Wehrmacht. A Robert-Espagne, Beurey, Couvonges, Mognéville et Trémont-sur-Saulx, 88 personnes sont assassinées et près de 400 maisons, granges et bâtiments publics sont incendiés. Ce crime de guerre reste encore aujourd’hui beaucoup moins connu que ceux d’Oradour-sur-Glane, de Tulle ou encore de Maillé.

  • La sentinelle allemande, en réalité un Alsacien

 Pour comprendre ce qui a bien pu se dérouler à Beurey, Jean-Laurent Vonau se rend dans cette vallée et rencontre quelques protagonistes encore vivants dont un certain Jean Altemaire, agent de liaison du maquis, aujourd’hui décédé. « II m’a raconté ce qui lui est arrivé le 29 août au matin. II se rendait à vélo à Beurey. II venait d’une ferme occupée par des maquisards. Alors qu’il emprunte une rue en pente, il tombe sur une sentinelle allemande qui l’arrête. Surpris, ii dérape et le pistolet qui se trouvait dans son porte-bagages roule sur le sol ».

A sa grande surprise, le soldat, dont l’identité reste méconnue, donne un coup de pied dans l’arme puis il dit au résistant qu’il est Alsacien, incorporé de force, et que les hommes du village doivent se cacher sinon ils vont être fusillés. Jean Altemaire se précipite dans le village et pousse les habitants à gagner la forêt des Trois-Fontaines toute proche.« 95 % de la population a fui et les gens sont restés trois jours et trois nuits en pleine nature avant de regagner le village », indique le maire de Beurey-sur-Saulx, Gerard Fillon.

•      L’élément déclencheur

 La commune ne comptera que sept victimes, beaucoup moins qu’à Robert­ Espagne (51 morts) ou Couvonges (26 fusillés). Selon les témoignages recueillis après-guerre, d’autres Alsaciens faisaient partie de cette unité de la Wehrmacht, la 34e Panzergrenadier Division, qui avait combattu sur le front de l’est et venait d’Italie. « Elle avait pour mission d’aller au-devant des troupes américaines pour freiner leur progression, raconte l’historien Jean-Pierre Harbulot, auteur d’une étude sur les faits du 29 août 1944. L’élément déclencheur est un accrochage avec quelques résistants non loin de Robert-Espagne. Mais ii y avait eu auparavant plusieurs actions de sabotages de voies ferrées.” 

Jean-Pierre Harbulot s’est rendu en Alsace pour rencontrer Xavier Sonnenmoser peu de temps avant que cet ancien incorporé de force ne décède. Lui aussi avait été enrôlé dons cette unité qui opéra dans la vallée de la Saulx. « Son fils avait écrit dans les années 1990 au maire de Robert-Espagne pour dire que son père avait été désigné pour tirer à la mitrailleuse et qu’il avait refusé. » La lettre précise que son supérieur hiérarchique, un lieutenant, l’aurait menacé du peloton d’exécution. Mais ce dernier meurt deux jours plus tard lors d’un bombardement et ii ne sera plus inquiété.

•      << Ces histoires méritent d’être contées >>

Ces actes, que l’on pourrait qualifier de résistance, ne surprennent pas Jean-Laurent Vonau. « Les incorporés de force n’ont pas adhéré à l’hitlérisme », martèle l’historien, au contraire des volontaires {2 500 à 2 800 Alsaciens au total) qui ont signé leur engagement dans l’armée du Reich en toute connaissance de cause. II regrette que ce travail de mémoire n’ait pas été entrepris plus tôt. II cite le cas du Strasbourgeois Pierre Michel, incorporé dans la Luftwaffe, qui va devenir espion au profit des armées alliées. « Ces histoires méritent d’être contées. On a trop longtemps décrié les incorporés de force alors que beaucoup ont eu un comportement héroïque. »

(*) Le 10 juin 1944, une compagnie du régiment blindé Der Führer appartenant à la division Waffen SS Das Reich mène une action de représailles contre les villageois d’Oradour-sur-Glane. 643 personnes sont exécutées. En 1953, le procès dit « de Bordeaux » juge 21 soldats dont 13 incorporés de force alsaciens qui seront condamnés à des peines de cinq à douze ans de travaux forcés ou  de cinq à  huit ans de prison.

MEUSE

MICHEL, 90 ans, ne peut oublier

Michel Marcilly : « Je n’ai jamais loupe une cérémonie sauf quand j’effectuais mon service militaire en Algérie. » Photo DNA /Cédric Joubert

Michel Marcilly est l’un des tout derniers témoins du massacre de Robert-Espagne. II habitait dans le bas du village lorsque les troupes allemandes ont débarqué le 29 août.

Par miracle ou presque, votre père a échappé à une mort certaine..

« Ce jour-là, on mangeait la soupe et j’en avais marre de manger du lard qui était rance. Mon père m’a dit que je devrais avoir honte alors que j’avais surement des copains qui crevaient de faim. II m’a envoyé dans la cour. C’est là que j’ai vu mon copain, André Fraiche, qui courait et criait :

« Sauvez-vous, les Allemands ramassent les hommes ! » Je suis allé le dire à mon père qui, de suite, a quitté la ferme vers la forêt avec un de mes cousins. Une des mitrailleuses leur tirait dessus, mais ils n’ont pas été touchés. »

Vous avez été le témoin de ce massacre..

« Moi, je suis reste à la ferme avec ma mère et mes deux sœurs. On s’est refugié dans une tranchée près de notre maison que papa avait creusée. J’ai vu les Allemands mettre le feu à des maisons. Et puis j’ai entendu la rafale aux fusillés. Ça n’a pas duré longtemps, mais ça semblait une éternité. Et ensuite, j’ai entendu des coups séparés. C’était les coups de grâce. Quand je suis sorti de la tranchée, le village était en feu, ça crépitait de partout. Les bêtes gueulaient de partout, certaines ont brulé vives. Le surlendemain, on est monté en haut du village pour savoir qui avait été fusillé. On regardait les cadavres quand soudain on a entendu des bruits de chars. C’était les Américains. II a fallu dix ans pour reconstruire le village. Aujourd’hui, il y a bien des choses que j’oublie. Mais, çà, impossible de l’oublier.»

     

 

     

   

   

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