Membre de la seule unité française débarquée en Normandie le 6 juin 1944, Léon Gautier, 98 ans, nous a reçus chez lui à Ouistreham.

Après le décès d’Hubert Faure à 106 ans (le 17 avril), Léon Gautier, 98 ans, est désormais le dernier survivant du commando Kieffer, seule unité française à avoir débarqué le 6 juin 1944 en Normandie. LP/Esteban Pinel

Par Esteban Pinel Le 28 avril 2021 à 09h22

Léon Gautier a perdu « un ami » avec le décès d’Hubert Faure, le 17 avril dernier. Les deux hommes étaient les derniers survivants du commando Kieffer, seule unité française à débarquer sur les côtes normandes le 6 juin 1944. L’habitant de Ouistreham (Calvados) est désormais le seul à porter la mémoire vivante de ce groupe de « Braves », comme l’avait qualifié Emmanuel Macron lors d’une cérémonie du 75e anniversaire du DDay en 2019.

Dans son petit jardin baigné d’un soleil printanier, Léon Gautier, 98 ans, se présente masqué et emmitouflé dans son manteau, imperméable aux bourrasques du bord de mer. La disparition d’Hubert Faure l’a touché : « Ça fait de la peine. Évidemment, il fallait s’y attendre, car à 106 ans, il a eu une belle vie ! » Les deux anciens du commando prenaient des nouvelles l’un de l’autre par téléphone.

« Messieurs les Français, à vous l’honneur ! »

Le 6 juin 1944, sur la plage de Colleville-sur-Orne (aujourd’hui Colleville-Montgomery, à l’ouest de Ouistreham) les Britanniques avaient laissé aux 177 Français « 50 ou 100 mètres d’avance en [nous] disant : Messieurs les Français, à vous l’honneur ». Dix soldats de l’unité ont perdu la vie ce jour-là. Léon Gautier confie repenser à la violente Bataille de Normandie : « Il y a parfois des insomnies. Vous pensez parfois aux veuves et aux orphelins que la guerre a laissés. Peut-être que j’ai causé des veuves et des orphelins, je n’en sais rien. On ne regrette pas ce qu’on a fait, car il fallait le faire. Mais on regrette que ça se soit passé. »

L’ancien soldat se souvient de son adolescence, sur fond de montée des tensions internationales. « Je regrette qu’on ait laissé faire quelqu’un comme Hitler. Dès 1936, on aurait dû commencer à s’inquiéter. Les politiques ont laissé faire. J’avais 14 ans. C’est l’âge où on commence à se rendre compte de ce qu’il se passe. Et on comprenait que c’était mauvais. » Et de marteler, sur notre époque : « Il faut être prudent, même actuellement. On n’est pas à l’abri !

Dans l’immédiat, la guerre est plutôt sanitaire. « Ce n’est pas la même bataille », glisse Léon Gautier qui, pour la deuxième année, se prépare à des commémorations orphelines de l’effervescence populaire du 6 juin. « Il n’y avait personne l’année dernière », se souvient le soldat. Même si l’essentiel est ailleurs : « Quand on va sur la plage, on fait un saut en arrière. On essaie de se rappeler de ce qui s’est passé. Moi je retournerai sur la plage penser aux copains. Ils ont donné leur vie pour récupérer la France. »

Un partage de mémoire qui arrive à un tournant. « Les vétérans, on les compte sur les doigts d’une main. Vous savez, je ne me fais pas d’illusion. C’est le sort de tous. » Alors que les témoins directs disparaissent, il faudra transmettre autrement. « La Normandie le fait. Il y a des sites, des musées qui marchent bien ! J’ai vécu beaucoup de commémorations. C’est respectueux envers ceux qui ont libéré l’Europe, constate Léon Gautier. Et la jeunesse s’intéresse beaucoup à cette période de l’Histoire. »

Le projet de parc d’attractions sur le thème du DDay et la Bataille de Normandie (annoncé par le Président de région Hervé Morin début 2020) le fait, en revanche, bondir : « Je trouve ça minable. La guerre n’est pas une attraction. J’espère que la Nation ne le permettra pas. » Un dernier cheval de bataille pour l’ancien fusilier marin, parmi les tout premiers Français à débarquer et aujourd’hui dernier survivant du mythique commando Kieffer : « Il fallait bien un dernier. Ça tombe sur moi, c’est le sort qui le veut. » Un clin d’œil au destin lâché dans un sourire par un héros à la parole humble et tellement précieuse.

 

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