Témoignage recueilli par Néo

Jean-Marie 96 ans
« Malgré-nous », déserteur ayant rejoint la Résistance dans l’Indre

En juin 1940, nos armées sont en pleine débâcle. J’interromps mes études subitement à l’arrivée des troupes allemandes, le 17 juin 1940. Le jour de la diffusion du discours du Maréchal Pétain, de la stupeur et de l’effroi. Si l’armée française nous abandonne, nous serons laissés en pâture à l’Allemagne nazie qui, revancharde depuis 1918 ne demande qu’à (ré)annexer l’Alsace-Lorraine ! Un désastre national et familial : de stupeur, de tristesse, mon père décède en juillet 1940, miné par la débâcle. Dans nos rues, nos places, nos villages, des panneaux allemands, des Allemands arrivant en nombre, il ne nous reste plus que notre ancestral « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » chuchoté sous les draps pour garder la tête haute. Garder la tête haute, le secret d’une Résistance morale. Chuchoté, car en cette période trouble, les murs ont des oreilles… En cette année noire, les Allemands peuvent se permettre toutes les arrogances, répressions possibles et imaginables. Cette germanisation s’accompagne, forcément d’une « nazification ». Je me mettrais presque à vomir quand je vois la drapeau français, symbole d’une République unie et indivisible, baissé et remplacé par la merde rouge et noire aux bras cassés, la « croix gammée ». Depuis nos fenêtres, nous constatons, impuissants, à l’expulsion des « non-germanisables » : les Juifs, les communistes, les noirs, dont se moquent allégrement les passants. Il est interdit de parler français. Les livres sont amassés sur la place publique et brûlés, sous les larmes intérieures de certains, la joie de certains, portés par ce mélange de haines exaltée qui gagné l’Allemagne, pourtant pays de savoir et de culture, il y a sept ans déjà.

Fin février 1943, je reçois une convocation me demandant d’intégrer, dès le lendemain… l’armée allemande ! Consternation dans la famille, certains me proposent de resquiller. Je refuse, de peur que ma famille en subisse les représailles, dont la plus récurrente : la déportation. Le jour arrivé, je reçois mon sinistre uniforme : j’entre dans la « RAD » : la « Reichsarbeitsdienst », sorte de service militaire préparatoire. Chaque jour, le salut hitlérien « Heil Hitlérien » devant les SS, pour lequel certains de mes camarades ne peuvent s’empêcher de finir pas un « sale boche ! » chuchoté ! Nous sommes envoyés après la fin de cette formation, relativement classique, dans différents services annexes de la Wehrmacht : les usines d’armement, les hôpitaux pour les « malgré-elles », … Tous ne rêvent que d’une chose : déserter le plus vite possible, aucun d’entre nous (à l’exception de quelques zélés fanatiques d’Hitler) ne se reconnaît sous l’infâme croix gammée. Dans la débâcle allemande, précipitée depuis quelques mois, nous sommes envoyés bien plus rapidement que prévu sur le front. Stationné à Rawicz, en Pologne, nous sommes parqués dans un camp militaire, en attente d’un départ imminent. En septembre 1943, sentant un relâchement de nos gardiens, dû très certainement à la lassitude d’une guerre qui n’en finit plus, je m’évade discrètement… par la porte centrale, sans savoir quoi faire après. 2000 kilomètres nous séparent de notre France. J’en suis sûr, il faut poursuivre la guerre, rejoindre la France quel qu’en soit le prix.

« Mais le grand jour où la France meurtrie
Reformera ses nouveaux bataillons
Au cri sauveur jeté par la Patrie
Hommes, enfants, femmes, nous répondrons »

 A travers champs, forêts, plaines, à pied, en stop, en logeant chez l’habitant, lorsqu’il ne vous dénonce pas. Activement recherché, j’ai le redoutable privilège de voir mon nom figurer sur les registres des recherches de la Gestapo. Je suis condamné à mort pour haute trahison « à la patrie ». Une patrie qui n’a jamais été la mienne, qui ne l’est pas et qui ne le sera jamais, tout comme son idéologie, fondée sur les pires idéaux que l’histoire de l’Humanité ait connus. Après maintes épopées, à travers la Pologne et l’Autriche, des passages aux frontières difficiles, à la limite de la catastrophe de l’arrestation, réussis grâce aux passeurs suisses, la France se présente à moi. Dès mon arrivée dans l’Indre, pays dans lequel habite de la famille pour me réfugier, une seule idée me vient à l’esprit : rentrer dans la Résistance. Grâce à quelques contacts fortuits, ce sera chose faîte, en octobre.

Nommé « Résistant légal », je deviens agent de liaison pour la résistance dans un secteur donné. Je participe également activement à la réception des parachutages, aux transports d’armes, aux

sabotages des lignes de communications ennemies, aux combats ainsi et surtout à la formation des unités combattantes. En effet, à l’approche de la Libération, les rangs de la Résistance grossissent, il faut pouvoir loger, habiller, nourrir ces hommes, leur donner une nouvelle identité, pour les « légaux », leur procurer une nouvelle identité. Pour ce genre d’activité, qui de mieux qu’un homme ayant côtoyé au plus près les nazis pour le faire ?

Le 9 juin, nous passons à l’action à Argenton-sur-Creuse. Le matin, la gendarmerie est prise, le groupe mobile de réserve (GMR) et la mairie, sans rencontrer la moindre difficulté. L’après-midi, nous attaquons un convoi d’essence attendu par le général Lammerding. L’action réussit en moins de dix minutes. Trois résistants sont tués, un est blessé ainsi que deux soldats allemands qui sont conduits à la clinique Cotillon. Les Allemands ne se manifestent pas aux alentours. Cependant, une traction avant avec quatre militaires à bord, se rendant probablement à la gare, se présente à l’entrée sud d’Argenton et est attaquée par quelques camarades. Les hommes réussissent à s’échapper et à rejoindre Limoges. Trois camions allemands arrivant par le nord sont interceptés en début d’après-midi à l’entrée d’Argenton mais l’un réussit à rebrousser chemin. Bientôt, c’est tout une compagnie de SS-panzer grenadier qui arrivent. Ce moment se trouble pour chacun d’entre nous, tout se déroule très vite, dès l’arrivée des nazis. Les Argentonnais, pensant qu’ils sont Libres, ne se doutent de rien. Des innocents, des vieillards, des enfants assassinés au hasard, de toute part, pour satisfaire un besoin malsain des hommes de cette division sanguinaire.

Malgré mes 21 ans, je fais en sorte de prendre part à toutes les attaques malgré les déconvenues dues au surarmement de l’ennemi.

De tous les coins de la ville, des otages sont faits et réunis où l’essence est retenue. Le lendemain matin, le 10 juin, les nazis réunissent les otages en deux groupes, ceux qui ont leurs papiers d’identité sur eux et les autres. C’est alors que l’homme que les Allemands utilisent comme interprète, Cubel, intervient. Avec beaucoup de convictions et de force d’esprit, il présente chaque otage sans papiers comme un de ses amis du club de football, un de ses anciens élèves, un commerçant ou un employé connu et paisible, un voyageur en attente de train… Cubel, et Vautrin vont arriver à sauver la majorité des otages. Moins d’une quinzaine sont mis dans un camion. Vers sept heures, la colonne nazie quitte Argenton pour Limoges, emmenant les otages, dont deux arriveront à sauter du camion à la sortie de la ville. Les nazis se débarrassent des otages, parmi lesquels deux collégiens, au hameau du Malabre, à la sortie nord de Limoges. Quatorze corps seront retrouvés le 12 juin. Trois jours éprouvant pour moi.

Peu après la fin du massacre, j’apprends qu’une autre compagnie de cette division criminelle a massacré Oradour sur Glane.

A la fin du mois, je reçois une citation lors du combat de Saint-Hippolyte, « Jeune F.F.I ayant rejoint l’unité depuis peu. A montré un courage et une bravoure exemplaires. À maintes reprises a tenté de détruire à la grenade un canon à tir rapide ennemi » Le 11 septembre 1944, je participe à la reddition des 18 000 prisonniers de la colonne ELSTER remis aux Américains.

Après une épopée extraordinaire, commencée en Pologne, finie dans l’Indre, il ne me reste plus qu’un souhait : libérer ma région, l’Alsace-Lorraine, la libérer de l’envahisseur mais surtout d’ignominie nazie. Je participe ainsi en octobre à la mission du réseau NAVARRE avec Jean DEMS et Jean NOBLESSE, mes passeurs de septembre 1943, auquel je dois bien cette aide, d’autant plus que leur réseau a été dûment affecté, nombreux sont ses membres partis dans les fours crématoires du « Natzweiler-Struthof ».

En novembre 1994, lors du 50e anniversaire de la libération de METZ, une plaque commémorative est posée sur la maison natale de ma mère Jeanne pour ses « actes de courage et d’héroïsme » dans le réseau Navarre. J’ai visité des centaines d’élèves pour témoigner de mon parcours.

Toute ma vie, j’ai résisté.

Avoir été au cœur de l’Allemagne nazie, même en étant incorporé de force m’a fait comprendre qu’il faut à jamais maudire la guerre, qui peut mettre en exergue des idéologies criminelles et attente à la vie humaine.

« Alsacien « Malgré-nous » et Résistant, je meurs, moi-aussi sans haine pour le peuple allemand. »

Jean-Marie, 96 ans

Note : Jean-Marie est décédé à 96 ans, l’an dernier, partant avec les souvenirs d’une vie mouvementée mais d’une vie dont le seul fil conducteur fut la Résistance. Résistance à l’annexion, à l’incorporation, au nazisme, aux atteintes du programmes du CNR, puis au temps qui passe, il a été de toutes les Résistances. A nous de transmettre sa Mémoire.

 

 

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