lundi 28 aout 2023 Républicain Lorrain

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MEURTHE-ET-MOSELLE

Rafle de Pexonne en 1944 : la colère d’un petit-fils du bourreau

SS Wenger

Lysiane Ganousse

Devant le monument aux Morts de Pexonne, Anne, Sacha (à gauche) et Christine (à droite), petits-enfants du SS Wenger, aux côtés de Guillaume Maisse, descendant d’une des victimes. Photo ER/Cédric Jacquot

Sacha est venu de Heidelberg rejoindre ses cousines Anne et Christine pour commémorer la rafle de Pexonne du 27 aout 1944. Une présence inédite : ils sont les descendants d’Erich Wenger, le capitaine SS qui mena l’opération. Leur « Opa » dont, jusqu’à l’âge de 10 ans, Sacha n’a jamais soupçonné la vraie nature.

Là, c’est devenu réel. Ça s’est passé ici, sur cette place. C’est là que mon grand-père a fait ça. » Sacha est ému. Très ému. Sous ses yeux vient de s’achever une cérémonie à la mémoire des victimes de son grand-père nazi, le capitaine SS Erich Wenger qui, le 27 aout 1944, au petit matin d’un dimanche d’été comme celui-ci, a dirigé la rafle infligée à Pexonne, petit village du Lunévillois à la limite des Vosges. Sous prétexte de débusquer une cohorte de maquisards. En fait de quoi, les SS n’ont guère trouvé qu’une petite pétoire sous un oreiller. Pourtant, le passage du Kommando se soldera par la prise en otage de 112 personnes, dont 3 bientôt fusillées et plus de 80 déportées. SeuIes, une quinzaine rentreront vivantes d’Allemagne.

  • Il l’appelait << Opa >>

Ces chiffres, Sacha vient de les entendre à nouveau, précisément sur cette même place de l’Eglise où le crime a eu lieu, devant le monument aux Morts érigé en calvaire. « La commune a toujours été fortement ancrée dans le catholicisme », souffle un fin connaisseur des lieux.

Du reste, la 79e cérémonie en mémoire de cette « rafle oubliée », pour reprendre le titre du livre référence de Guillaume Maisse publié en 2022, a commencé par une messe. « Après tout, le curé de l’époque, l’abbé Louis Besoin, fait lui aussi partie des victimes. » Interrompu même dans son homélie lorsque les membres de la SS se sont abattus sur la commune.

Sacha l’Allemand sait tout ça depuis quelques années déjà. Depuis que  sa cousine Anne, issue de la branche française de la famille, mais petite-fille comme lui du bourreau nazi, a pris contact avec Pexonne, le lieu de la tragédie. Et ce, grâce aux travaux de Guillaume Maisse.

Si bien que ce dimanche, pour la toute première fois, trois des descendants du SS Wenger se sont joints aux anonymes d’aujourd’hui, et aux familles des victimes de 1944, pour œuvrer à un souvenir commun. Celui du crime de Wenger et ses soldats. Du crime de celui que Sacha appelait « Opa ». « Un grand-père à peu près comme les autres », se souvient pourtant Sacha, venu expressément de Heidelberg rejoindre ses cousines Anne et Christine au pied du calvaire de Pexonne, aux côtés de Guillaume Maisse, petit-fils de victime. Ensemble, ils y ont déposé une couronne plus symbolique que jamais.

  • << Contradiction incompréhensible >>

« Un grand-père mort quand j’avais 10 ans. » Mais un grand-père sur lequel la propre mère de Sacha avait un regard très critique. II a compris peu de temps après pourquoi. « Son engagement chez les nazis, le rôle qu’il avait joué dans Paris occupé, son appartenance à la Gestapo, j’ai appris tout ça. Ce qui, pour moi, constituait une forme de contradiction incompréhensible. » Et très perturbante. L’histoire est devenue quasi palpable de réalité pourtant, lorsque Sacha a entendu ce dimanche matin s’égrener le nom des victimes un à un. Celui des camps aussi : Dachau, Mauthausen, Neuengamme..

  • << Immense gratitude >>

Ce moment « incroyablement impressionnant », il l’a vécu parmi quelque 300 personnes venues assister à cette exceptionnelle 79e cérémonie du souvenir. « Où j’ai ressenti à la fois beaucoup d’humilité, un grand chagrin pour les gens d’ici, et une immense gratitude pour l’accueil qu’ils nous font aujourd’hui. Mais aussi une énorme colère à l’égard de mon grand-père. »

La colère est d’autant plus amère que le SS Wenger n’a jamais eu à répondre de ses actes.

 

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