Camille Charvet professeure au lycée Pasteur et résistante fit ses études à Besançon

Soeur Marcelle Baverez est une religieuse résistante née à Besançon

Jean Michel Blanchot leur a rendu un vibrant hommage le 4 septembre 2022, à la chapelle des Buis, mettant ainsi en évidence le rôle des femmes dans la résistance, celles dont on parle peu !

Discours de Jean-Michel Blanchot, président du comité du Souvenir Français du Val de Morteau

Cérémonie du Souvenir Français à la Chapelle des Buis, le dimanche 4 septembre 2022

 S’asseoir quelques instants dans la crypte de la chapelle des Buis et y observer cette liste de 6240 noms, les noms de ces femmes, de ces hommes, de ces enfants, de ces aînés sans aucune distinction d’âges, de sexe ou de conditions… c’est mesurer, avec gravité, le poids de l’Histoire. Confessons-le : une telle énumération donne le tournis car elle est l’incarnation posthume de l’effroyable bilan de la guerre et de son cortège de souffrances. Comment d’ailleurs ne pas faire l’analogie avec cette criante et douloureuse actualité, comment alors ne pas penser à ces femmes, ces enfants, ces aînés qui, de nos jours, à deux heures d’avion de nos frontières, sont les victimes des logiques politiques mortifères et de la folie de dictateur.

Observer cette liste, c’est aussi remarquer que la guerre ignore les différences de genre. Elle frappe autant les femmes que les hommes. Or, pour ce qui concerne l’engagement en Résistance, on ne dénombre que six femmes sur 1038 Compagnons de la Libération, soit 0,6 % de cet honorable contingent. De toute évidence, ce chiffre dérisoire ne reflète pas l’engagement massif des femmes dans la Résistance. N’en déplaise à la vision que les hommes ont de la guerre depuis l’origine de l’humanité, à savoir qu’elle serait une affaire d’hommes, la Résistance doit beaucoup à ces femmes.

Dans la liste funèbre de la Chapelle des Buis, deux d’entre elles symbolisent avec force cet engagement jusqu’au renoncement suprême. Deux femmes que tout opposait, dans leur choix de vie, dans leur culture, dans leur quotidien, et qui, pourtant se sont levées au nom des valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité. Je veux parler de Camille CHARVET née KAHN et de Sœur Marcelle BAVEREZ.

Camille Khan est née à Besançon en 1881. A 21 ans, elle monte à Paris, comme on disait alors, pour y suivre de brillantes études qui la conduiront à l’Agrégation de Physique. Elle suit également des études de médecine et de chirurgie. De 1902 à 1904, elle exerce à la Pitié-Salpêtrière. Esprit brillant et éclectique, polyglotte, son parcours est jalonné de belles rencontres : Maire Curie, Paul Langevin, Rodin et Kipling. Avec ce dernier, elle entretien une relation épistolaire.

Profondément humaniste, pacifiste, elle rejoint la Ligue des Droits de l’Homme, le Groupe socialiste féminin, l’Union rationaliste et la Libre Pensée ainsi que la Ligue internationale contre l’Antisémitisme et le Racisme. Elle est initiée au Droit Humain où très vite son engagement la fait remarquer. Elle présidera le Congrès régional des Loges de l’Est. Mais face aux menaces des Années Trente, la montée des totalitarismes, elle multiplie les conférences maçonniques sur le pacifisme. Elle milite pour la formation ouvrière et à ce titre met en place des cours du soir. Tout naturellement, elle entre en résistance dès le début de la Seconde Guerre mondiale. Le 25 janvier 1943, elle est arrêtée par la Gestapo et torturée. Après un internement transitoire à Drancy, elle est déportée à Auschwitz en juillet 1944. Après y avoir servi d’infirmière dans un bloc dédiée aux malades, elle décède quelques semaines avant la Libération.

Marcelle Baverez, quant à elle, naît à Besançon en 1899. Elle y étudie au lycée Pasteur. A seize ans, elle prépare le brevet supérieur chez les Sœurs de la Charité. Elle embrasse la carrière religieuse à sa majorité et prononce, en 1920, ses vœux chez les religieuses hospitalières, filles de Notre-Dame des Sept Douleurs de Besançon. Après plusieurs affectations, elle regagne l’hôpital Saint-Jacques de Besançon où, à partir de 1940, elle dirige la pharmacie. Durant toute sa vie, elle fera sienne la parole de l’Evangile : « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Profondément altruiste et pleine d’empathie pour autrui, elle entre en Résistance. Clandestinement, elle aide à l’évasion de prisonniers et de blessés. L’hôpital Saint Jacques a été l’un des foyers actifs de la résistance sous la bienveillante mère supérieure Vieillard.

En 1943, sœur Baverez, en contact avec notamment l’abbé Bourgeois, coopère avec un réseau de renseignement polonais : le réseau F2 dont elle devient chef de secteur sous le pseudonyme de “Berthe” et fait fonction d’agent de renseignement tout en aidant les blessés et les évadés. Dénoncée, elle est arrêtée le 10 août 1943 et incarcérée à la Butte, à l’isolement. Torturée par la Gestapo, elle ne parlera pas. Transférée à Dijon, puis à Compiègne en, elle est déportée, en février 1944, à Ravensbrück. Infirmière au Revier, elle force l’admiration pour son engament aux côtés de ceux qui souffrent. Elle y contracte la typhoïde et décède d’une méningite, le 1er novembre 1944.A titre posthume, sœur Marcelle Baverez reçoit la croix de guerre en tant que chef d’un secteur du réseau de renseignement F2. Geneviève Anthonioz De Gaulle lui rendra un hommage posthume.

Deux belles personnes, deux belles âmes, l’une croyait « au Grand Architecte de l’Univers et ou au progrès de l’Humanité » quand l’autre à vouer sa vie à Dieu. Mais peu importe, toutes les deux avaient cette foi en l’homme chevillée au corps. Toutes deux croyaient plus que jamais aux valeurs de la liberté, de l’égalité. Toutes deux ont incarné ce qu’il y de plus fort, ce qui élève l’homme, le transcende à savoir la fraternité. Avec des chemins différents, elles se sont rejointes dans le sacrifice suprême, victimes toutes les deux de la barbarie, de l’innommable, payant de leur vie la noblesse de leur engagement, celui de l’humanisme contre l’obscurantisme.

 

Chaque année, nous nous réunissons dans ce lieu de mémoire. Plus largement, notre calendrier mémoriel est ponctué par ces rituels qui sont au cœur même de notre République.

Cependant, certains de nos compatriotes se sont parfois montrés critiques sur l’injonction du devoir de mémoire. Pour d’aucuns, la France commémorerait beaucoup, sous-entendu beaucoup trop. Pour d’autres, ce faisant, on assisterait à une surenchère sur le passé qui témoignerait d’une difficulté à affronter le présent et l’avenir ? Alors, posons d’emblée la question -au risque de paraître provocateur- le devoir de mémoire ne risque-t-il pas à terme de devenir ringard ou de devenir moins rassembleur ?

L’une des grandes figures de la Résistance, à savoir Emmanuel d’Astier de la Vigerie, le fondateur du groupe Libération, est l’auteur d’un beau texte, la Complainte du Partisan qui se termine ainsi :

« Le vent souffle sur les tombes

La liberté reviendra

On nous oubliera

Nous rentrerons dans l’ombre »

Alors, allons-nous oublier un jour l’engagement de cette jeunesse de France, de cette France plurielle qui -au-delà de la diversité-, à l’image de Camille Charvet et de sœur Baverez, a su se rassembler pour clamer et défendre, dans les larmes et dans le sang, et parfois jusqu’au sacrifice suprême, les valeurs de notre République gravées dans le marbre de notre devise : Liberté, Egalité, Fraternité !

Et pourtant, nous connaissons tous les mots du poète et chanteur Jean Ferrat : « Que le sang sèche vite en entrant dans l’Histoire. »

Dès lors, faut-il se résoudre à ce que l’oubli balaye un jour la mémoire de ce qui nous rassemble ici ?

Céder à de tels sophismes, sombrer dans de tels manquements, capituler devant de telles manipulations, s’avéreraient -à n’en point douter- mortifère !

Disons-le haut et fort : Ces commémorations sont autant d’occasions de méditer le passé, et par là-même, de réfléchir sur notre présent. Commémorer est acte profondément politique au sens noble du terme, celui de la vie de la cité. N’oublions jamais que la Nation est une construction politique faite de symboles fédérateurs, de souvenirs rassembleurs, de références communes. Comme l’a rappelé récemment dans une interview, Serge Barcellini, le Président Général du Souvenir Français, « la mémoire permet donc de souder le vivre ensemble ».[1] A ce titre, commémorer c’est faire Nation. Se réunir, se recueillir, en ces lieux comme celui qui nous rassemble aujourd’hui, c’est faire France.

Surtout, le devoir de mémoire est une vigie qui nous oblige, et ce, à plus d’un titre.

Dans le contexte d’une géopolitique aussi complexe qu’anxiogène, quand, à nouveau, les bruits de bottes sont à nos portes, quand notre société se divise, quand les haines, jamais vraiment disparues, reprennent force et vigueur, le devoir de mémoire est là pour nous rappeler, à jamais, la fragilité de la paix et de la liberté.

Il nous oblige aussi à veiller à prendre garde à la déshérence mémorielle. La mémoire n’est pas faite que de pierres. Elle doit s’incarner en nous tous et auprès des plus jeunes. Aussi, sa transmission est un enjeu fondamentale et crucial pour l’avenir. C’est l’une des missions centrales de l’école de la République, mais aussi de l’Etat, au travers de ses différents organismes, et bien sûr, la mission première du Souvenir Français pour que le flambeau de la mémoire ne s’éteigne jamais. Mais, c’est aussi, et avant tout, celle des parents en emmenant ses enfants, ses proches aux cérémonies, et en donnant du sens.

De plus, ne soyons pas dupes sur cette nécessité civique face au retour en force des négationnismes, de ceux que Pierre Vidal-Naquet qualifiait « d’assassins de la mémoire ».[2]

Enfin, et pour terminer, le devoir de mémoire qui ne doit pas rester une simple injonction morale nous oblige à être conscients, dignes et à la hauteur de nos héritage. Souvenons-nous toujours des lignes écrites par Henri Fertet, quelques minutes avant d’être fusillé, à l’âge de 16 ans, par les Nazis : « Je meurs pour ma Patrie. Je veux une France libre et des Français heureux ».

Le devoir de mémoire est comparable à cette chaîne qui nous relie au passé et nous unit à l’avenir, et dont nous sommes l’un des maillons. Simone Veil, dans l’un de ses beaux discours évoquait cette responsabilité qui est désormais la nôtre :

« Que nous le voulions ou non, que nous le sachions ou non, nous sommes responsables de ce qui unira demain, collectivement : nous sommes faits de ce qui nous a précédés et pour partie nous engageons l’avenir […] Il n’y a pas de conscience éthique sans mémoire, ce qui est en cause c’est l’humanité de l’homme, et loin d’être une donnée assurée, l’Humanité est un enjeu ».[3]

En effet, plus que jamais le devoir de mémoire engage l’avenir et se vit dans l’action, car n’oublions pas cet adage plein de sagesse : « le passé est un lieu de référence et non un lieu de résidence » ! Alors, à quoi bon commémorer si dans nos actes, nos propos, nos décisions, nos choix, nous ne sommes pas à la hauteur de ce rêve de liberté de celles et ceux qui sont restés, dans l’honneur, debout face à leur destin. Commémorer c’est sans cesse nous interroger : qu’avons-nous faits de leurs idéaux ?

 

 

Jean-Michel Blanchot.

Discours de Jean-Michel Blanchot, président du comité du Souvenir Français du Val de Morteau

 

[1] Est Républicain du 11 novembre 2017.

[2] VIDAL-NAQUET (Pierre), Les Assassins de la mémoire. Paris, Maspéro, 1981. Plusieurs rééditions, dont la définitive de 2005 a pour sous-titre : « Les Assassins de la mémoire. Un Eichmann de papier et autres essais sur le révisionnisme ».

[3] Budapest, juin 2003

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