Républicain Lorrain- jeudi 11 août 2022 Région

ALSACE-MOSELLE

Malgré-Nous, Willy West ne voulait pas mourir pour Hitler

Philippe MARQUE

L’Alsacien Willy West en 1941, avant son incorporation de force. Photo DR

 Août 1942 : un décret de l’Allemagne nazie oblige 130 000 Alsaciens et Mosellans à rejoindre les rangs de l’armée allemande. Alors que le mémorial de Schirmeck organise le 27 août une commémoration, Dominique West nous a confié les mémoires de son père Willy. Un récit bouleversant.

 C’est une phrase qui l’a marquée. Toute son enfance, Dominique West, installé à Pfastatt près de Mulhouse, a entendu son père dire qu’il ne voulait pas mourir pour Hitler. Willy West est l’un des 130 000 Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans l’armée allemande.« Il ne parlait pas spontanément de cette période», ajoute son fils, médecin retraité de 73 ans. Quarante-quatre années lui auront été nécessaires pour qu’il finisse par la consigner par écrit. Le récit, glaçant, tient en cinquante-deux pages et dix chapitres. Dominique West nous l’a confié.

Comme tous les Français de son âge, Willy West a d’abord porté l’uniforme français. Né en 1916, cet Alsacien de Wittenheim a été incorporé pour son service militaire, à 22 ans, au 60e régiment d’infanterie de Besançon. Ses talents de musicien lui permettent d’en intégrer la Musique. Jusqu’à la mi­-mai 1940, où il est désigné pour aller au front. Il n’aura pas le temps d’y arriver.

La police française, qui collabore déjà avec la Wehrmacht, le conduit au camp de prisonnier de Drancy. Il y est remis aux Allemands le 14 juin 1940.

« Vers le 20 août, un haut-parleur a annoncé que les Alsaciens et Mosellans devaient se faire connaître. Le 26, nous sommes arrivés à Kolmar! J’écris bien Kolmar avec un K. J’ai compris tout de suite que Hitler avait annexé notre belle Alsace au «Grand Reich». Mais moi, je pensais seulement au bonheur de retrouver mon épouse et que pour moi la guerre était terminée. » Un bonheur de courte durée. Un peu moins de trois ans plus tard, il est incorporé de force dans la Wehrmacht. Il part le 17 avril 1943, avec 250 camarades, de la gare de Mulhouse:« Quand le train s’est ébranlé, presque tous nous chantions La Marseillaise. »

  • Deux fois sur le front

 Son incorporation démarre en Pologne. Il y vit avec effroi un événement qui l’a hanté toute sa vie: l’exécution de trois Polonais soupçonnés de sabotage. Mais ce sont les récits de ces deux séjours sur le front russe, en juillet et décembre 1944, qui sont les plus marquants. Le Malgré-Nous y raconte cette grande tranchée à défendre sur une colline à Augustowo en Pologne. Il y est confronté au premier tué de sa compagnie. Un éclat d’obus lui transperce la main gauche. La blessure lui paraît trop légère pour être exempté de front. L’Alsacien décide alors de l’aggraver en essayant de se tirer dessus avec son fusil. Mais rate sa cible. Bien lui en a pris : « Les balles à bout portant laissent des traces de poudre. Elles valaient à leurs porteurs de passer devant le conseil de guerre pour être fusillés. »

Le deuxième le mène quelques jours dans une tranchée remplie de neige. Obligé de la fuir sous la pression russe, il fait un malaise à l’arrivée lui permettant de ne pas être renvoyé aussitôt au front. Mais ses frayeurs ne sont pas terminées. En janvier 1945, il se trouve à bord du Steuben, un immense paquebot transformé en navire-hôpital, lorsque celui-ci est coulé par des mines. Obligé de sauter dans l’eau glaciale de la Baltique, il réussit à rejoindre le torpilleur chargé d’ouvrir la route au paquebot. Willy West est l’un des 610 rescapés…sur 4 200.

  • Sa revanche

 Son incorporation se finit dans la Feldgendarmerie, cette police militaire allemande qui veille au respect des ordonnances promulguées par l’administration militaire. L’Alsacien y prend alors un malin plaisir à réprimander les officiers allemands dans l’illégalité : « Ma revanche.» Jusqu’à ce qu’il soit fait prisonnier, dans un camp tenu par les Anglais. Cette fois encore, un haut-parleur demande aux Alsaciens et Mosellans de se faire connaître. Un avion les ramène à Bruxelles. Son calvaire prend fin. Dominique, son fils, dit qu’il n’a ensuite pas souffert de cette condition de Malgré-Nous : « En France de l’intérieur, la méconnaissance était totale. Mais chez nous, tout le monde comprenait. » Willy West est mort en 1994.

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