Les dernières lignes de ce témoignage résonnent comme un avertissement dans la période que nous traversons depuis des mois désormais !

« Quand je vois en Allemagne les néonazis reprendre les suffrages de la population,de même pour l’extrême-droite en France,je me demande: «Quel monde avons-nous préparé pour mes petits-enfants? Il faut poursuivre inlassablement dans le sens humaniste des valeurs du Conseil National de la Résistance, les protéger. Peut-être, les futures générations sauront à leur tour «Résister»? Nous l’espérons, il en va de la survie de la République, pour laquelle tant d’hommes, comme de femmes, ont laissé leur vie! Lorsque, dans une société, il y a un laisser-aller, qu’il n’y a plus de moral, nous courrons à la catastrophe.J’espère que les jeunes sauront, après nous, trouver la force nécessaire pour un sursaut national dans la décence des valeurs de la République».

Thérèse DUMONT

Thérèse Dumont,
Résistante dès 1940 en zone interdite (Pas-de-Calais) rattachée au commandement de Bruxelles au sein d’un réseau féminin fondée par sa mère, Madame Henry
Témoignage rédigé des suites de ma rencontre avec Madame Thérèse DUMONT, le 21 février 2020, complété par notre second entretien, le 28 juillet 2020 « En 1940, ma famille voit arriver les Allemands vainqueurs pour la troisième fois. En 1870, mes grands-parents vivaient déjà sous l’humiliant joug de l’occupant, de même pour mes parents pendant la sanglante « Grande Guerre ». Dès le début du mois de mai, des mèches commencent à fuiter, l’ambiance est tendue. Nous sentons tous qu’ « ils » arriveront bientôt, tôt ou tard. Mon père, cheminot, est devenu pacifiste en 1918, au sortit de la grande « boucherie » qu’avait été le premier conflit mondial. Il ne veut plus entendre parler de combats et de guerre, « les Allemands sont des ouvriers comme moi ! » ne cesse-t-il de nous répéter ! La guerre a changé un homme, mon père n’a plus d’ennemi. Ma mère, en contradiction avec son mari sur ce point s’intéresse à la politique et à la vie publique, profondément militante dans un pays qui ne nous reconnaît pas encore citoyennes ! Un refus au motif, d’après l’argumentaire du Parti Radical, que le vote des femmes serait sous la coupe des prêtres, et que, par la même occasion, nous rendrions le pouvoir républicain aux mains de l’Église catholique ! Un jour de beau temps, un réfugié passant à vélo dans notre quartier toque à la porte. Ce pauvre homme nous demande de lui remplir gracieusement sa bouteille d’eau au robinet, nous acceptons évidemment, bien que certaines personnes n’hésitent pas à profiter de la situation en vendant le verre tiré au robinet à cinq, dix, vingt francs ! Après nous avoir remercié, il nous glisse : « Moi, je fous le camp. Je viens de Belgique, dans deux jours, ils sont là ! ». Nous nous doutions tous qu’ils arriveraient, mais aussi tôt ! Nous n’en revenons pas ! Ainsi, la propagande française diffusée abondamment à la radio est mensongère, que des bobards sur la soi-disant « maîtrise » de la situation.
Nous sentions tous que l’armée française subissait une déroute, mais une débâcle ! Le pauvre réfugié belge ne se trompera pas, deux jours après, après avoir anéanti la Belgique, « ils » arrivent imminent, nous le sentons. Au loin, nous entendons des bruits de bataille, nous descendons immédiatement à la cave. Lorsque le bruit se calme, nous remontons à la surface. Un soldat allemand tambourine à notre porte, déboule sur le palier, nous lui ouvrons : le premier Allemand que je vois ! Un grand homme, coiffé d’un casque, armé jusqu’au dent, tenant un poignard, s’est mis à gueuler, je me suis ainsi aperçu que les Allemands ne parlent pas mais « gueulent ! ». Il demande : « Soldat anglais, soldat anglais » ? Instinctivement, nous lui répondons négativement, il se retourne et répond aux hurlements d’un autre soldat qui, pense-t-on, lui demande s’il est nécessaire de venir avec des grenades. Il lui aurait répondu négativement, en voyant les quatre, cinq femmes et enfants présents dans la pièce. Le soldat nazi s’en va vers son convoi, revient avec une portion de pain de l’armée, dur comme de la pierre, « pour les enfants » nous dit-il. Ma mère se retourne vers nous et nous marmonne : « Écoutez, les premiers ne nous ont rien fait, espérons que ça continue comme ça ».
Espérons-le. Quelques minutes après, l’armée nazie dans sa globalité défile. Parmi eux, des soldats de la Wehrmacht, mais aussi des soldats portant sur la manche une sinistre inscription, « Adolph Hitler », des troupes d’élite pour ce pays vainqueur. Ma mère, fidèle militante politique se désole de savoir l’idéologie nazie et fasciste prospérer dans notre territoire, ma sœur aînée se désintéresse de la situation, elle se laisse vivre, comme notre père. Je tâche, avec plus ou moins de succès, de reproduire ma mère, à 14 ans ! Comme beaucoup de voisins, nous partons sur les routes de l’exode, nous nous croyons dans la même situation qu’en 1914 ! Avancer sur les routes en direction du sud, quel intérêt puisque les troupes allemandes suivent le même chemin. Ma mère finit par nous dire : « Maintenant qu’ils sont là, faisons avec ! ». Dès le retour, à pied de nouveau, la vie doit reprendre son cours. Il faut déjà « organiser » le ravitaillement, il faut traire les vaches, souffrantes après huit jours sans traite. Ma mère, originaire de la campagne, prend comme à son habitude les choses en main pour reprendre pied. Mon père reprend son boulot de cheminot, ma mère, battante d’instinct, se demande en apprenant la signature de l’armistice : « Qu’est-ce qu’on peut faire ? ».
Poursuivre la lutte contre le fascisme, encore un jour, obstinément.
Mon père, avant-guerre, était sympathisant du Parti Communiste Français (PCF), sans aucune activité politique et syndicale, un peu parce que c’est « normal » dans son milieu, en cette période. Un jour, un cheminot des ateliers, membre lui-aussi du « Parti », chantre avant-guerre avec son épouse, dépose chez ma mère une petite pile de tracts, visiblement clandestins vu les précautions qu’il a dû prendre. Il revient une seconde fois, fait de même, des tracts à chaque fois en plus grande quantité. Après le repas du soir, ma mère nous demande à notre étonnement : « Maintenant, on prend nos espadrilles ! », en s’adressant à ses deux filles. Nous enfilons nos chaussures, nous prenons un tas de tracts, et départ toutes les trois dans les rues de notre cité ouvrière, malgré le couvre-feu. Ma mère nous expose la situation, nous devons distribuer les tracts partout dans la cité, sans faire de bruits. Cette cité ouvrière est plutôt acquise aux idéaux communistes, mais la précaution est essentielle. De temps à autre, nous entendons, pétrifiées, un chien aboyer, assez anormal dans une petite cité comme la nôtre où le moindre bruit attire l’attention. J’entends un jour le maître sortir voir son chien, en criant : « Qu’est-ce que tu as à aboyer comme ça ! ». Dans une cité comme la nôtre, toutes les informations se répandent en une traînée de poudres, tout se sait très vite, quelles que soient les intentions des personnes en question. Ma mère d’un côté, ma sœur de l’autre et moi derrière, nous posons les tracts dans les portes, dans les clôtures, à l’entrée des lotissements.
Le lendemain, de temps à autre, à l’épicerie ou chez le boulanger, une voisine nous signale ces tracts inattendus : « Vous avez vu ce qu’il y avait devant notre porte ce matin ? ». Les habitants de la cité sont plutôt contents de recevoir ce genre d’informations, certains se demandent récurremment : « Qui est-ce qui peut, dans une cité comme la nôtre, distribuer tant de tracts » Ma mère fait l’innocente, comme si elle ne comprend pas ou n’en n’a pas encore entendu parler, nous nous devons de faire de même. Au fur-et-à-mesure des jours, se forme autour d’elle un vrai groupe, uniquement composé de femmes, nous sommes mis dans le discret concernant la formation de ce groupe. Elle ne cesse de nous répéter : « Soyez prudente, ne vous montrez pas, soyez discrète… Si des gens vous en parlent, faîtes les imbéciles et ignorantes ! ».

Son groupe se mettra en rapport avec les instances départementales, régionales puis nationales de la « Résistance » intérieure. Un jour, des responsables proposent à ma mère de s’inscrire à la Croix Rouge, elle leur répond instantanément : « Pourquoi ? On a autre chose à faire dans cette cité perdue ! ». « Vous aurez des papiers officiels avec des cachets dans tous les sens et, si vous êtes arrêtés par les Allemands en pleine nuit, vous dîtes « Réunion Croix Rouge ! » Ils n’en demandent pas plus et vous laisseront tranquille » lui répond un « responsable ». Elle accepte, s’inscrit à la Croix-Rouge Française, mais ne pourra pas faire de même pour moi, n’ayant pas 18 ans. Elle me souffle malgré tout : « Je ne vais pas te laisser seule, accompagne-moi ! », je l’accompagne à l’insu de la direction dans les caves d’un palais qui nous sont réservées. Ma sœur, de cinq ans mon aînée, a évidemment été inscrite sans difficulté. Au premier mort qu’elle aperçoit, elle tourne de l’œil ! Ma mère lui crie : « Dégage, si c’est pour nous encombrer ! Ta sœur prendra ta place ! ». Alors que je ne suis pas encore majeure, j’arrive à intégrer la Croix-Rouge, grâce à la peur bleue de ma sœur. Il nous faut fouiller les morts pour vérifier s’ils ont sur eux des pièces révélant leur identité, dans l’espoir de retrouver la famille. Toutes les nuits, les morts affluent, parmi lesquels des voisins de notre quartier de cheminots, victimes civiles des bombardements. La mort omniprésente, les corps inertes affluant à nous, c’est aussi ça, la guerre. Ma famille loge les saboteurs, les « illégaux », sans cesse de passage chez nous. Je suis gamine et, voir des hommes très sûrs d’eux, d’une vingtaine d’années, m’impressionne forcément. Nous ne discutons que peu, à leur arrivée, ils répètent à ma mère, comme un mot-de-passe : « C’est Simone qui m’envoie chez vous ». Elle comprend que quelqu’un du réseau donne notre adresse pour les loger, les nourrir. Quel réconfort pour ces combattants de l’ombre que d’avoir un lit, un toit et de la chaleur… Un confort inestimable pour ceux qui depuis plusieurs années vivent dans la clandestinité ! Grâce à notre grand jardin, nous n’avons jamais souffert de la faim, mon père y cultive ses légumes et nous fait une soupe assez épaisse, il s’occupe des lapins et poules, ce qui nous fait assez de viande. Étant pas très loin de la campagne, lorsque l’on en a besoin, nous allons à la ferme d’un cousin cultivateur qui nous donne quelques œufs, un peu de beurre, largement de quoi entretenir d’autres personnes, les Résistants de passage se revigorent chez nous. Au fur-et-à-mesure des années, les soldats allemands des troupes d’occupation deviennent moins arrogants, la plupart commencent déjà à comprendre qu’ils vont perdre, particulièrement après les défaites successives sur le front russe. Je les côtoie tous les jours, en allant à l’école, nous commençons à comprendre qu’ils ne demandent, pour certains qu’à rentrer chez eux ! Ils nous montrent les photos de leurs enfants, de leurs familles, l’air-de-dire : « Vous savez ; nous aussi, nous subissons la guerre… ». Rien à voir avec les hitlériens fiers et arrogants arrivés en 1940… Ils perdent foi en leur idéologie criminelle en la voyant déchanter, nous nous en rendons compte sur leurs mines déconfites ! Petit-à-petit, la Résistance s’organise, après l’assomment, le questionnement : « Qu’est-ce qu’on peut faire ? », bien après nous, pour qui « la flamme de la Résistance » n’a jamais cessé de brûler depuis la défaite. La lassitude, le manque d’alimentation, les préoccupations quotidiennes tellement importantes, font qu’il y a tellement d’autres choses à faire, à penser… Survivre en ces temps de disette, assurer un peu de pain et de lait pour ses enfants ! Mais peut-on rester passifs lorsque notre territoire est sous une occupation étrangère, de surcroît par les armées d’un criminel de guerre ? Nous nous sentons malgré tout bien seuls dans notre combat idéologique, tant que nous nous isolons dans notre cité. Lorsque je commence à travailler à l’administration des impôts, en 1942, je vois petit-à-petit la situation évoluer. Un tract perdu sur un bureau, des chefs qui parlent tout bas, la « Résistance » s’organise donc dans d’autres milieux que mon milieu ouvrier ! Nous ne sommes pas seuls, c’est très réconfortant ! D’autant plus que nous, les femmes, avons déjà payé un lourd tribut dans la Résistance. Émilienne, une camarade ayant bravé l’occupant en mai 1941, pour réclamer la libération des grévistes internés, est décapitée à Cologne, en Allemagne, le 18 janvier 1943. D’autre, comme Marguerite, membre du même réseau féminin que moi, ont tout sacrifié pour la Résistance. Le mari, la fille et le fils aîné de Marguerite sont déjà déportés quand elle se rend compte qu’une affiche, collée par les nazis, promet une grosse somme d’agent s’il un certain « terroriste » est capturé. Ce « terroriste » est caché chez elle ! Malgré ses enfants en bas âge, ses difficultés, elle continue, inlassablement, de « Résister ». Toutes, nous continuons, malgré la lassitude provoquée par quatre années de luttes, nous poursuivons, chaque jour un peu plus sous la crainte de la torture et de la déportation. Une amie, assurant la liaison de notre groupe, se retrouve à la prison de Douai, elle y est morte sous la torture. Elle ne dira rien, nous lui devons la vie. Un jour, en nous rendant à la salle commune de l’hôpital d’Arras pour rendre visite à l’un de nos camarades, très gravement accidenté du travail, nous nous rendons compte que les bonnes sœurs, les religieuses sont débordées. Notre camarade nous explique : « Quand je tombe ou que je crie la nuit, les deux gars du fond m’entendent et viennent me remettre dans le lit. Malheureusement, je ne peux pas m’expliquer avec eux, les remercier, ce sont des prisonniers de guerre russes ». Nous sommes atterrés, que font des prisonniers de guerre russes à Arras ? « Ils travaillaient dans les mines, y ont été blessés, amenés car les Allemands « en ont besoin ». Dès que les Allemands reviennent à la charge demander s’ils peuvent récupérer les prisonniers, les bonnes-sœurs retardent l’échéance en signalant qu’ils ne sont pas guéris, dans l’attente d’une issue. C’est leur « Résistance », leur manière de montrer leur opposition à cette situation. Étonnée, je pose quelques questions à ma mère, prépare du chocolat à leur donner, pour les approcher…
« Parlent-ils français ? »… Ma copine me propose de les approcher, en ler donnant notre supplément de biscuit auquel nous avons droit : « C’est pour vous, cadeau, cadeau ! ». Nous voulons leur faire comprendre que nous sommes leurs amis, je vois une bonne femme s’approcher d’eux et leur parler russe. Quelques jours après, de mon retour à la maison, ma mère me prévient : « Si tu vois ta sœur arriver, préviens-lui que je lui laisse de la soupe ». Je sors sur le palier pour attendre ma sœur quand je reconnais un des soldats russes, à vélo, je rentre précipitamment à l’intérieur prévenir Maman que l’un des prisonnier russe, habillé en civil « vient de passer devant la maison ». Sa réponse est simple : « Tu es folle ? ». Elle enfourne son vélo, part pour la route, à la frontière avec la campagne, elle l’aperçoit, lui crie « Victor ! Vous, Victor ! ». Le Russe prend peur, réfute, elle lui crie : « Hôpital ! Camarade ! Camarade ! ». Allemand ? « Non pas allemand, venez à la maison manger ! ». Il n’attendait que ça ! Une fois à la maison, il nous explique s’être évadé de l’hôpital, avec la complicité de la bonne-femme parlant russe que nous avions croisé à l’hôpital, elle leur avait en effet passer des effets civils. Habitant une cité ouvrière, entourés de voisins, nous ne pouvons le garder longtemps avec nous, il faut lui trouver une nouvelle cache. La maison en face appartient à un couple retraité dont le fils, prisonnier de guerre, était coiffeur dans le quartier. Peut-être ont-ils une pièce
inoccupée ? Le prisonnier russe est catégorique, il « veut faire boum-boum », il veut rentrer chez les Francs-Tireurs et Partisans (FTP) ! Les retraités, par entraide et sympathie à notre idéal, le logent et le nourrissent
quelques jours, le temps que ma mère prenne contact avec des camarades FTP : « Un Soviétique évadé veut se battre ! ». Une bonne copine vient le prendre en photo pour sa nouvelle pièce d’identité, il rejoint peu après la lutte armée. Dans le cadre d’un sabotage, dans le secteur des mines de Lens, il sautera avec les explosifs, inerte mais pas mort. Il décédera des suites de ses blessures, certainement aggravées par d’éventuelles tortures, sans avoir parlé de nous.

Sous la ville d’Arras, des souterrains servaient autrefois à extraire des pierres, aujourd’hui, proie des bombardements alliés, la ville n’a rien trouvé de mieux que de nous installer pendant la nuit dans ces galeries souterraines. L’ensemble est bien organisé, des gardiens sont positionnés, nous descendons dans le calme dans les couloirs, nous amenons des matelas pour y passer nos nuits, en espérant ne pas retrouver notre foyer détruite le lendemain. Certains y sortent tôt le matin, c’est le cas de ma mère et de ma sœur pour partir travailler. Un jour, les gardiens lui murmurent au passage : « Il parait que nous allons bientôt être libérés car on entend au loin des roulements de chars, dans le calme, à l’horizon ! ». Ils ont dû sentir sa part de femme courageuse, allant sans cesse de l’avant ! Elle me fait comprendre à demi-mots que nous ne tarderont d’être libres, sans trop se pencher sur la question. « Peut-être aujourd’hui, va-t-on savoir ! », nous réplique-t-elle. Malgré tout, mon père nous demande de ne rien ébruiter, pour ne pas affoler la population déjà perdue dans les événements qui ne cessent de se succéder. Ce 1er septembre, dès l’après-midi, nous sommes « Libres », après quatre ans d’asservissement, de misère et de luttes. Les premiers arrivés sont les Belges, parlant français, suivis des Anglais et des Canadiens, qui, à ma grande surprise ne parlent pas tous français ! Les rencontres seront brèves, ils sont tous déjà pressés de poursuivre le combat pour, le plus vite possible rentrer dans leurs foyers. Quelle joie ! Quelle euphorie ! Dans les foules en liesse, Ils nous distribuent des chewing-gums, du chocolat… Nous leurs sautons au coup, et ce jusqu’à leur départ ! Quelques temps après la Libération, mon père ne cesse d’être appelé, pour le comité d’épuration, pour le Comité de Libération… Ma mère s’étonne de le savoir dans toutes les institutions alors que ce grand pacifiste était resté « neutre » toute la guerre en faisant mine de ne rien voir ! Il questionne le maire, un collègue cheminot, qui lui lance un jour : « C’était la Résistance chez toi, un haut-lieu de Résistance même ! ». Un haut-lieu de Résistance, « Chez Henry » ! » Mon père réalise… « Chez Henry » : l’administration comme la population pense évidemment qu’il s’agit de Monsieur Henry, alors qu’il s’agissait bel-et-bien de Madame Henry, ainsi que Mesdemoiselles Henry ! Le maire n’aurait jamais imaginé que c’est ma mère, une femme éperdument libre, qui ait fait tant de travail. Pourtant, Madame Henry rentrera dans la postérité comme l’une des plus grandes Résistantes de son secteur. Sans les femmes, tant d’actions n’auraient pu être réalisées, ces non-citoyennes se sont portées volontaires parmi les premières pour lutter contre l’occupant nazi et le régime fascisant de Vichy.
Une fois la guerre finie, les années sont vite passées : des concours et formations, un mariage et des enfants… Après des vacances dans le Sud, mon mari et moi sommes tombés amoureuse de ce bout de France ensoleillé. A ma retraite, je m’y suis installé définitivement. Dès mon arrivée, une question se pose à moi, me taraude presque : « Comment s’est passée la Résistance ici ? ». Je me doute bien que ce n’était pas la même chose dans les « Basses-Alpes », vu la différence géographie, en terme de reliefs, vu que l’occupation nazie a commencé bien après nous, vu que le département n’avait pas été occupé par les Allemands les guerres précédentes… De fil en aiguille, j’ai commencé un travail de recherche sur la Résistance dans le département, en créant une association, Basses-Alpes 39-45, une mémoire vivante, pour approfondir les recherches sur la Résistance, la déportation et la Shoah dans les Basses-Alpes. Au sein de Basses Alpes 39-45, j’ai établi une liste des déportés bas-alpins, alors qu’une indifférence générale régnait à propos de la Shoah. J’ai réussi à retrouver la trace de six-cent Juifs bas-alpins arrêtés et déportés vers les camps nazis de la mort. Ils méritent autant de reconnaissance que les autres déportés. « Morts pour la France », une appellation qui mélange tout, du Résistant fusillé ou mort en déportation au soldat… des guerres coloniales. Les Juifs déportés sont, quant à eux, morts par la France ! Ils méritent une
reconnaissance, dans nos places et rues comme dans nos mémoires. J’ai, en parallèle de ce travail mémoriel, coécrit avec Simone Pelissier un ouvrage, Femmes en Résistance, primé en 1994 à l’occasion du label du cinquantenaire. Un travail de recherches sur le rôle des femmes, l’importance de ce rôle, dans la Résistance, travail sous l’égide des préfaces de Lucie Aubrac, Marie-Claude Vaillant-Couturier et Anna Tardy. Témoigner à la jeunesse de notre vécu, pour ne pas permettre à l’histoire de se répéter, pour éveiller les consciences, pour que, tel que le disait Lucie Aubrac, « le mot RESISTER ne s’écrive qu’au présent ! ». Je poursuis, dès que je reçois une sollicitation mes interventions scolaires, avec des élèves qui avaient le même âge que moi lorsque je suis entrée en Résistance.
Quand je vois en Allemagne les néonazis reprendre les suffrages de la population, de même pour l’extrême-droite en France, je me demande : « Quel monde avons-nous préparé pour mes petits-enfants ?
Il faut poursuivre inlassablement dans le sens humaniste des valeurs du Conseil National de la Résistance, les protéger. Peut-être, les futures générations sauront à leur tour « Résister » ? Nous l’espérons, il en va de la survie de la République, pour laquelle tant d’hommes, comme de femmes, ont laissé leur vie ! Lorsque, dans une société, il y a un laisser-aller, qu’il n’y a plus de moral, nous courrons à la catastrophe.
J’espère que les jeunes sauront, après nous, trouver la force nécessaire pour un sursaut national dans la décence des valeurs de la République ».
Thérèse

« Quand je vois en Allemagne les néonazis reprendre les suffrages de la population, de même pour l’extrême-droite en France, je me demande : « Quel monde avons-nous préparé pour mes petits-enfants ? »
Thérèse Dumont

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