AUX ARCHIVES MUNICIPALES DE STRASBOURG

(en face du cinéma CINE CITE 12, avenue du Rhin à Strasbourg jusqu’au 16 janvier 2022)

Exposition « Strasbourg 1940-1944 »

3 janvier 2022 à 13h40 Rédaction | L’Ami hebdo Aucun commentaire

Dire qu’il a fallu attendre près des 80 ans après la Libération de Strasbourg pour qu’une exposition présente ce qui fut le quotidien des habitants, revenus après avoir été évacués en 1939 dans des régions lointaines ! Après ce premier traumatisme, s’ensuivit le second : la survie dans leur ville défigurée aux couleurs du nazisme…

Évacués, ils devaient parler français, de retour chez eux, ils devaient parler obligatoirement allemand… L’exposition actuelle aux Archives municipales de Strasbourg rend compte de cette violence grâce à de nombreux documents tirés des archives et qui répondent à des questions souvent écartées : comment ont réagi les Strasbourgeois face au nazisme ? Ont-ils accepté cette nouvelle réalité politique avec résignation ou enthousiasme ? Quelles menaces ont pesé sur eux, fonctionnaires (4000 pendant la durée de la guerre !) ou autres ? Une résistance a-t-elle pu exister dans cette population piégée soumise à un État totalitaire ?

Dès leur arrivée en Alsace, les Allemands prennent un éventail de mesures. Séductrices comme la multiplication des animations ou brutales comme la germanisation des noms des rues ou commerces. Dès août 1940, c’est au tour des noms de famille et prénoms s’ils n’ont pas de consonance germanique. Soit 27  290 changements de prénom (René qui devient Renatus) et plus de 20  000 noms de familles, les Meunier devenant Müller… On a gardé des formulaires établissant ces changements obligatoires dans le Gau de l’Oberrhein puisque le Bas-Rhin et le Haut-Rhin sont supprimés. En 1943, il sera même interdit de parler français, d’écrire et de lire des livres en français sous peine d’être interné au camp de Schirmeck. Dans une vitrine de l’exposition, une relique : la vareuse d’un interné de ce camp unique, sur le sol resté légalement français mais annexé illégalement.

> C’est aussi en dehors des lois que s’instaurent le RAD (service paramilitaire du travail, pour garçons et filles de 17 à 25 ans) puis l’incorporation de force dans l’armée allemande. Des parcours personnels sont présentés. Ainsi ceux des frères André et Albert Fuhrer, le premier disparu au front, alors que leur sœur Lucie, amputée d’un bras lors des bombardements alliés sur Strasbourg, sourit sur sa photo de mariage avec René André, un jeune Strasbourgeois qui avait pu s’évader de la Wehrmacht en Sicile puis rejoindre l’armée française : « La famille nous a remis le fonds juste avant le confinement. Cela tombait très bien pour l’exposition ! » signale Albane Eglemme, des Archives municipales.

Une frise chronologique bien faite ouvre le parcours thématique de l’exposition. Documents comme le « Kriegsbuch » d’un écolier obligé d’écrire ce journal de guerre ou l’Ahnentafel (généalogie prouvant l’ascendance aryenne), photos et objets insolites (telle la maquette d’un des trois projets d’architectes pour le « Gross Strassburg » de Strasbourg à Kehl) émaillent le circuit de visite.
A voir aussi d’intéressantes vidéos où témoigne entre autres l’universitaire Francis Rapp sur sa jeunesse vécue pendant cette terrible époque. Vu la pauvreté de la plupart des explications sur les cartels et l’absence de tablettes individuelles, l’idéal est de suivre une visite guidée.

Pour les propriétaires de smartphones, une application renseigne sur les grands dessins de Édouard Steegman dont le but est de donner la réplique aux affiches si habiles de la propagande nazie. Grâce à un système de tourniquet, on voit celles-ci ainsi que les nouvelles illustrations au coup de crayon subtil. On apprend aussi l’histoire de l’étudiant qui dessina, en devoir imposé, la fameuse affiche « Hinaus mit dem welschen Plunder » préconisant de « mettre le fatras français » à la poubelle.

Autour de 652  000 Alsaciens furent affiliés au parti ou à ses organisations annexes, soit 60 % de la population. « Mais rien ne pouvait se faire sans une adhésion de principe » est-il rappelé dans l’intéressant catalogue (25 €, 184 pages) : pas d’études scolaires sans être à la HitlerJugend, pas de travail sans adhésion au syndicat officiel, le Deutsche Arbeitsfront, etc. « Et rester en dehors du système, c’était éveiller le soupçon. »

L’exposition qui s’achève avec la Libération donne bien des clés pour comprendre l’histoire tragique d’une ville annexée de fait.

Marie Goerg-Lieby

Strasbourg 1940-1944, à voir jusqu’au 16 janvier.
Archives de la ville de Strasbourg et de l’Eurométropole, 12 avenue du Rhin, Strasbourg
Contact : 03  68  98  51  10 ou : archives.strasbourg.eu

 

 

 

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