Entre 1918 et 1919, une pandémie de grippe dite “espagnole”, propagée par les mouvements de troupes, sévit dans le monde. La fin de la Première Guerre mondiale et le retour à la paix éclipsent l’ampleur de la catastrophe. En quelques mois, elle affecte un quart de l’humanité et fait au moins 30 millions de victimes, devenant la pandémie la plus meurtrière de l’histoire humaine.
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La grippe de 1918, dite « grippe espagnole », est une pandémie de grippe due à une souche (H1N1) particulièrement virulente et contagieuse qui s’est répandue de 1918 à 1919. Bien qu’ayant pour origine probable la Chine pour le « virus père » et les États-Unis pour sa mutation génétique, elle prit le nom de « grippe espagnole » car l’Espagne — non impliquée dans la Première Guerre mondiale — fut le seul pays à publier librement les informations relatives à cette épidémie.
Cette pandémie a fait 50 millions de morts selon l’Institut Pasteur, et jusqu’à 100 millions selon certaines réévaluations récentes, soit 2,5 à 5 % de la population mondiale. En valeur absolue (ou nombre de victimes), elle serait la pandémie la plus mortelle de l’histoire dans un laps de temps aussi court, devant les 34 millions de morts (estimation) de la peste noire. Toutefois, cette dernière estimation est plus qu’incertaine.
Selon l’historien Niall Johnson qui se base sur la fourchette basse, les plus grandes pertes ont touché l’Inde (18,5 millions de morts, soit 6 % de la population), la Chine (4 à 9,5 millions de morts selon les estimations, soit 0,8 à 2 % de la population) et l’Europe (2,3 millions de morts, soit 0,5 % de la population).
Histoire
Avant 1918 : virus père
Les débuts de cette pandémie ont été discrets, car le virus n’était d’abord pas mortel. L’origine géographique du virus-père de la grippe de 1918, dite « grippe espagnole », reste donc très incertaine, d’autant que, à tout moment de l’année, divers points du globe subissent des épidémies de souches grippales différentes, bénignes et parfois endémiques. Faute d’études rétrospectives suffisantes sur le virus de la grippe espagnole lui-même, il demeure impossible de trancher sur son origine généalogique, de déterminer lequel des virus bénins alors en cours était le virus père. Impossible donc de déterminer son origine géographique précise.
Les connaissances certaines sur son origine sont ainsi inexistantes : l’origine même de son nom est encore débattue mais semble majoritairement considérée comme étant due au fait que ce ne fut que lorsque cette grippe frappa l’Espagne que l’on prit conscience de sa portée internationale.
Aussi, malgré le fait que les hypothèses sur l’origine géographique soient multiples, toutes convergent vers une même région : le Nord-Est des États-Unis d’Amérique, dans la région de Boston, lieu premier semble-t-il où la grippe devint mortelle, vers la mi-septembre 1918. Ce n’est qu’à partir de là que l’on suit avec certitude le virus en question. Cependant, la pandémie commença bien avant avec le « virus père ». En voici les origines les plus développées expliquant son arrivée dans la région de Boston.
L’origine la plus communément admise, notamment par les instituts de santé publique tels que l’Institut Pasteur, est l’Asie, la région de Canton plus précisément, en Chine. Bien qu’elle ne repose sur aucune preuve indéniable, cette hypothèse s’appuie sur deux constats effectifs :
une épidémie de grippe bénigne, mais à forte contagiosité, sévit effectivement en Chine au printemps 1918 (ce qui est fréquent) ;
second argument : cette région du monde, par son interaction entre les populations humaines, aviaires et porcines, a toujours été la source principale des épidémies de grippe.
Le virus aurait atteint les États-Unis par le biais d’un bataillon américain revenant de cette région chinoise vers une base de Boston. Ce fut ici qu’elle fit ses premiers morts recensés.
Une autre hypothèse américaine, peu développée, pose comme origine possible de cette épidémie les États-Unis, dans la région de la Caroline du Sud, où quelques cas mortels auraient été annoncés dès le printemps 1918.
D’autres hypothèses prétendent qu’elle serait originaire d’Europe. La plus solide fait apparaître les premiers cas de grippe espagnole dans les tranchées de France en avril 1918, notamment chez des bataillons britanniques stationnés dans les environs de Rouen. Il y eut effectivement des morts dus à une épidémie de grippe particulièrement contagieuse, mais les conditions d’hygiène des tranchées étaient amplement suffisantes à transformer une grippe des plus banales en maladie mortelle.
Toujours est-il que cette épidémie, liée ou non à l’épidémie chinoise, se répandit rapidement, par le biais des mouvements de troupes alliées, d’abord en Grande-Bretagne, puis aux États-Unis, et enfin en Italie et en Allemagne, atteignant son apogée vers juin 1918. En juillet, l’Europe considère l’épidémie comme pratiquement terminée, bien qu’ayant atteint un nombre élevé d’individus, surtout dans les armées, mais s’étant manifestée sans gravité, étant de courte durée, et avec des symptômes classiques peu alarmants.
Il existe également d’autres hypothèses, isolées et non confirmées par d’autres documents, prétendant que son origine pourrait être réellement l’Espagne ; elle aurait été amenée aux États-Unis par le biais de la famille royale espagnole, à l’époque en voyage diplomatique dans la région de Washington.
Simultanément à ces épidémies internationales, d’autres foyers épidémiques plus restreints ont été observés en Inde et en Nouvelle-Zélande, en juillet, et en Afrique du Sud, en août. On ignore aujourd’hui encore s’il s’agit d’une seule ou de différentes souches, toutes cependant n’engendraient que des symptômes bénins.
Septembre 1918 : l’épidémie américaine devient mortelle
C’est aux États-Unis, dans la région de Boston, aux environs du 14 septembre, que les premiers cas mortels d’une grippe qui sera bientôt tristement connue sous le nom de « grippe espagnole » furent signalés.
À compter de cette date, cette vague virale, bien qu’étant dans la lignée directe de la précédente, se caractérisa par une mortalité 10 à 30 fois plus élevée que les épidémies grippales habituelles, soit un taux de mortalité moyen situé entre 2.5% de 3 % des grippés.
Du fait de sa grande contagiosité, elle se répandit partout où les voyageurs contaminés, civils ou militaires, allèrent, au gré des transports ferroviaires et maritimes de cette époque, inconscients du danger et de la puissance meurtrière de ce qu’ils colportaient. Dès le 21 septembre 1918, dans l’ensemble du Nord-Est des États-Unis, des côtes américaines du golfe du Mexique, ainsi qu’en Californie et dans la majorité des grandes villes de l’Est américain, sont signalés des décès dus à la grippe : c’est le début d’une augmentation significative et anormale du nombre de cas mortels.
Dans le même temps, les premiers cas sont signalés en Europe, le virus y fut probablement apporté par le biais de renforts américains venus aider les armées alliées. Une semaine plus tard, début octobre 1918, c’est l’ensemble du territoire des États-Unis et de l’Amérique du Nord qui est atteint. Il aura suffi de 15 jours à ce virus pour être présent sur l’ensemble de ce continent Nord-Américain.
C’est alors seulement que l’épidémie prit réellement une ampleur considérable. En effet, si elle était déjà présente dans l’ensemble de ces territoires, le nombre de contaminés n’était pas encore très élevé. Et ce fut seulement une fois disséminée que le nombre de contaminés explosa.
Taux de mortalité à New York, Londres, Paris et Berlin.
Aussi, comme le montre le graphique qui suit, ce fut le mois d’octobre 1918 qui vit le plus de cas mortels aux États-Unis : un taux de mortalité de près de 5 % chez les malades, soit, relativement à la population entière, du fait que 30 à 40 % de la population était atteinte, un taux de mortalité global de 2 %. L’État américain, ainsi que la population, prirent soudainement conscience de l’importance de cette épidémie.
Sur le même schéma, ce serait bientôt l’Europe, puis le reste du monde qui succomberaient.
Octobre 1918 : l’épidémie devient pandémie
En décembre 1918, à Seattle, les forces de l’ordre sont équipées de masques.
À Seattle, le poinçonneur a ordre de ne pas laisser monter les passagers non munis de masques. Durant près d’un an, les transports et l’économie de tous les pays seront affectés par les mesures d’hygiène.
Dans tous les pays, les hôpitaux sont débordés et il faut construire des hôpitaux de campagne, ici dans le Massachusetts (29 mai 1919).
Les États-Unis furent subitement submergés par cette épidémie nouvelle. Bon nombre de villes américaines sont paralysées du fait du grand nombre de malades, ainsi que du grand nombre de personnes refusant d’aller travailler. Alors que les médecins américains, désemparés, sans aucune information ou aide possible, font face à cette épidémie du mieux qu’ils le peuvent, une infirmière sur quatre meurt. Alors que cette épidémie, à son apogée de puissance aux États-Unis, y sème le chaos, le désarroi, et surtout la mort, l’Europe compte ses premiers morts dans les rangs des militaires alliés. Avec son arrivée en Europe, ce virus devint international, ce qui annonçait déjà son originalité.
Suivant la même évolution qu’aux États-Unis, la maladie, partant du Nord-Est de la France, conquit bien vite l’ensemble des tranchées alliées ainsi que le territoire français et, par les mouvements de troupes britanniques, prit la Grande-Bretagne.
Vers le 15 octobre, l’épidémie atteignit, en France puis en Angleterre, une importance considérable. Avec une à deux semaines de décalage, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et l’ensemble des pays limitrophes comptèrent leurs premiers morts. De là, l’Europe étant à l’époque le centre colonisateur du monde, des bateaux, avec à leur bord des marins grippés, partirent vers l’Afrique, l’Amérique du Sud, les Indes et la Chine, ainsi que vers l’Océanie, ces marins colportant vers ces terres alors encore épargnées un virus épidémique qui, de fait, devint pandémique.
Fin octobre et début novembre, d’abord en France et en Grande-Bretagne, ensuite dans l’Europe entière durant le mois de novembre 1918, l’importance devint l’égale de celle des États-Unis. Cependant, les populations européennes, affaiblies par quatre ans de guerre et de pénuries, subirent des pertes plus grandes encore que celles des États-Unis. La France, à elle seule, subit quasiment autant de pertes que l’ensemble des États-Unis. Des villes entières sont paralysées, autant par la maladie que par sa crainte. Aux États-Unis, l’épidémie perdait enfin de sa force, après deux mois en moyenne de sévices : septembre, le mois de la propagation, et octobre, le mois des morts.
En Europe, pour la France et la Grande-Bretagne, le mois de la propagation ayant été octobre (avec également un grand nombre de morts), ce fut ainsi principalement le mois de novembre, en raison des infrastructures sanitaires débordées, qui vit les plus grandes vagues de morts. Pour les autres pays d’Europe, la période de propagation de la maladie s’étendit de mi-octobre à mi-novembre, celle des morts, de mi-novembre à mi-décembre. La censure de guerre en limita l’écho médiatique de la pandémie, les journaux annonçant qu’une nouvelle épidémie touchait surtout l’Espagne, pays neutre qui publiait librement les informations relatives à cette épidémie, alors que celle-ci faisait déjà des ravages en France.
Parmi les comptoirs et colonies européennes, seule l’Australie fut en mesure d’appliquer une quarantaine rigoureuse. Pour les autres, l’épidémie fut inévitable. Les Européens débarquèrent, amenant avec eux le virus. À partir de début novembre 1918, le virus se répandit très vite dans toute l’Afrique, l’Amérique Latine, les Indes et la Chine, ainsi que dans l’Océanie. Le pourcentage de grippés dans les populations locales oscillant entre 30 et 80 % de contaminés, parmi lesquels de 1 à 20 % de cas mortels. Les épidémies, là aussi, passant en deux mois sur une région, elle cessa donc son activité vers début janvier 1919, avec un pic de mortalité en décembre 1918.
L’Inde, à elle seule, aurait eu 6 millions de morts, la Chine autant.
Après deux mois d’accalmie, de décembre 1918 à janvier 1919, l’année 1919 vit étrangement une recrudescence importante du nombre de cas de grippe espagnole. Cette nouvelle « vague » ne fut que mineure[réf. nécessaire] du fait que l’ensemble des individus ayant déjà été atteints lors de la seconde vague de grippe présentaient désormais une immunité, et ne pouvaient donc colporter le virus. Cette vague pandémique, qui balaya la planète entière, n’enclencha que des foyers épidémiques localisés un peu partout sur Terre, notamment dans les régions épargnées jusqu’alors, telle que l’Australie.
En quelques mois, la pandémie fit plus de victimes que la Première Guerre mondiale qui se terminait cette même année 1918 ; certains pays seront encore touchés en 1919 et 1920. Le premier cas fut en effet enregistré le 4 mars 1918 dans le camp militaire de Funston (en) au Kansas, et le dernier signalé en juillet 1921, en Nouvelle-Calédonie.
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