Cette guerre d’Indochine qui a fait un grand nombre d’Orphelins, de Pupilles, en hommage Ă  nos camarades, Ă  l’occasion de ce 13 juin prochain !

Ce long exposé est extrait de la lettre du Président du Souvenir Français.

Autorisation de publier donnée par notre Délégué Départemental Jean Claude Rebière, concrétisant notre partenariat sur le terrain

Christiane Dormois

Après un service national effectuĂ© en 1997-1998 comme sergent Ă  la 11e CBI du 9e rĂ©giment de commandement et de Soutien (9e division d’infanterie de marine, Nantes), Ivan Cadeau rejoint l’armĂ©e comme officier sous contrat en 2 000. Après avoir servi Ă  l’École nationale des sous-officiers d’active comme instructeur au sein de la Division enseignement gĂ©nĂ©ral et perfectionnement et dirigĂ© pendant quatre ans le musĂ©e du sous-officier, il est affectĂ© au Service historique de la DĂ©fense Ă  Vincennes en 2007.

Titulaire d’un doctorat en histoire sur l’arme du gĂ©nie pendant la guerre d’Indochine, il est spĂ©cialiste des guerres d’Indochine et de CorĂ©e et Ă©galement de la campagne de France, d’Italie et de Provence. Il effectue des missions au profit de l’enseignement militaire supĂ©rieur, participe Ă  des colloques en France et Ă  l’étranger et Ă©galement Ă  des Ă©tudes historiques sur le terrain (EHT). Il est Ă©galement rĂ©dacteur en chef adjoint de la Revue historique des armĂ©es.

Auteur de nombreux articles et livres, il a notamment Ă©crit Le GĂ©nie au combat. Indochine 1945-1956(Service historique de la DĂ©fense, 2013), DiĂŞn BiĂŞn Phu (Tallandier, 2013 rĂ©Ă©ditĂ© en 2016), La Guerre de CorĂ©e(Perrin 2013, rĂ©Ă©ditĂ© en 2016), Histoire de la guerre d’Indochine. De l’Indochine française aux adieux Ă  Saigon 1940-1956 (Tallandier, 2015, rĂ©Ă©ditĂ© en 2019) et De Lattre (Perrin 2017).

LA GUERRE D’INDOCHINE

1940 – 1956

Le 10 avril 1956, les rues de Saigon s’animent, pour la dernière fois, du spectacle des forces françaises dĂ©filant sur le sol vietnamien. En dĂ©pit de l’attitude nettement antifrançaise dont fait montre le gouvernement sud-vietnamien depuis plusieurs mois, les habitants de Saigon se sont rendus en foule Ă  ce dernier adieu, un adieu qui apparaĂ®t aux yeux du correspondant du Monde qui couvre l’évĂ©nement comme l’« ultime manifestation » de la prĂ©sence française en Indochine. Le lendemain soir, 11 avril, Radio Hirondelle, la radio des forces armĂ©es en ExtrĂŞme-Orient, diffuse sa dernière Ă©mission. Avec elle s’éteint symboliquement la voix de la France dans ce qui a constituĂ©, près de cent ans durant, l’Indochine française.

Si l’on trouve trace de la prĂ©sence française dans cette partie du monde dès l’époque moderne, c’est au XIXesiècle que commencent vĂ©ritablement les relations entre les territoires qui, plus tard, formeront le Laos, le Vietnam et le Cambodge. DĂ©clenchĂ©e initialement en 1858 sur ordre de NapolĂ©on III pour des raisons religieuses et Ă©conomiques (il s’agit alors de faire cesser les exactions commises contre les ChrĂ©tiens et de tenter d’ouvrir une voie de pĂ©nĂ©tration vers la Chine Ă  partir des bouches du MĂ©kong), la colonisation française se poursuit dans les dĂ©cennies suivantes. En 1887, l’Union indochinoise est officiellement crĂ©Ă©e et regroupe, Ă  terme, cinq entitĂ©s gĂ©rĂ©es plus ou moins directement : le Laos, le Cambodge, le Tonkin, l’Annam et la Cochinchine, celle-ci ayant, seule, le statut de colonie. Au cours de la première moitiĂ© du vingtième siècle, la France renforce sa souverainetĂ© et dĂ©veloppe les infrastructures mais cet Ă©lan n’est pas sans crĂ©er de fortes inĂ©galitĂ©s et, au dĂ©but des annĂ©es trente, les revendications sociales qui se font jour s’accompagnent de celles rĂ©clamant l’indĂ©pendance. Les rĂ©voltes qui Ă©clatent en 1930, qu’elles soient le fait de mouvements nationalistes ou communistes sont cependant facilement Ă©crasĂ©es, notamment du fait de leur peu d’assise populaire et de l’efficacitĂ© de la SĂ»retĂ© gĂ©nĂ©rale. C’est, en dĂ©finitive, un Ă©vĂ©nement extĂ©rieur qui vient bouleverser l’ordre colonial Ă©tabli et mettre fin Ă  la Pax Gallica. En effet, au dĂ©but de l’étĂ© 1940 et suite Ă  la dĂ©faite de la France contre l’Allemagne nazie, le Japon profite de la disparition de la mĂ©tropole comme grande puissance sur la scène internationale pour faire valoir ses prĂ©tentions sur l’Indochine. Celle-ci doit devenir, en Asie, une pièce centrale dans la politique impĂ©rialiste nippone. Pendant quatre ans, au terme d’accords passĂ©s entre le gouvernement de Vichy et celui de Tokyo, les autoritĂ©s politiques et militaires françaises vont cĂ´toyer leurs homologues japonaises, jusqu’à ce que ces dernières, en raison de la tournure dĂ©favorable que prend la guerre contre les Britanniques et les AmĂ©ricains, se dĂ©cident de mettre fin au statu quo : le Japon ne veut pas prendre le risque de voir l’Indochine, devenue capitale pour le contrĂ´le de leurs voies de communication, entrer en dissidence et rejoindre les AlliĂ©s. Le 9 mars 1945, par un coup de force brutal et sanglant, la souverainetĂ© qui restait de la France en Indochine est balayĂ©e, seuls quelques milliers de militaires parviennent Ă  se rĂ©fugier en Chine, les autres trouvent la mort au combat ou sont internĂ©s – avec la population civile europĂ©enne – dans des camps aux conditions de vie indignes et inhumaines.

Profitant du vide politique crĂ©Ă©, un acteur, restĂ© jusqu’alors dans l’ombre, se lance Ă  la conquĂŞte du pouvoir. Le ViĂŞt-Minh (abrĂ©viation de ViĂŞt Nam Doc Lap Dong Minh ou Ligue pour l’indĂ©pendance du Vietnam), mouvement communiste dirigĂ© par des rĂ©volutionnaires formĂ©s Ă  l’école de Moscou s’impose progressivement par l’adhĂ©sion ou l’endoctrinement des masses et l’élimination de ses adversaires politiques. Le 2 septembre 1945, son chef, HĂ´ Chi Minh, proclame l’indĂ©pendance du Vietnam alors mĂŞme qu’en France, le Gouvernement provisoire de la RĂ©publique française (GPRF) se prĂ©pare Ă  reprendre pied dans ses anciennes possessions asiatiques et Ă  y restaurer sa souverainetĂ©. Le corps expĂ©ditionnaire, formĂ© initialement pour participer Ă  la lutte contre le Japon, voit sa mission redĂ©finie : il doit dĂ©sormais assurer le retour de l’ordre français. Si la France est prĂŞte Ă  accepter quelques amĂ©nagements dans le statut des territoires et des populations qu’elle administre, en accordant, notamment, plus d’autonomie, ses propositions se heurtent aux revendications du ViĂŞt-Minh qui entend obtenir l’indĂ©pendance pleine et entière et la rĂ©union des trois rĂ©gions constituant le Vietnam (Tonkin, Annam, Cochinchine) au sein d’un seul et mĂŞme État. Enfin, l’instauration d’un rĂ©gime communiste, mĂŞme si ce dernier aspect est Ă  l’époque encore peu mis en avant – dans le but de rassembler le plus largement possible les Vietnamiens – est Ă©galement au cĹ“ur de sa politique.

Les annĂ©es 1945 et 1946 sont marquĂ©es par une guerre larvĂ©e oĂą alternent nĂ©gociations et opĂ©rations. L’antagonisme radical des positions des uns et des autres, les arrière-pensĂ©es et manĹ“uvres politiques diverses des deux camps se soldent finalement par la rupture quand, le 19 dĂ©cembre 1946, le ViĂŞt-Minh ordonne Ă  ses troupes de prendre d’assaut les principales garnisons du Tonkin : la guerre d’Indochine vient officiellement de commencer. Elle va durer neuf ans. Entre 1947et 1949, le corps expĂ©ditionnaires composĂ© d’une centaine de milliers d’hommes renforcĂ© de quelques dizaines de milliers de supplĂ©tifs s’efforce, avec les moyens dĂ©risoires et souvent obsolètes consentis par Paris, de venir Ă  bout d’une insurrection qui, si elle n’est pas encore très bien armĂ©e, bĂ©nĂ©ficie par la persuasion ou la violence du soutien populaire. Dans le mĂŞme temps, les gouvernements français qui se succèdent, ont enfin compris que le retour au statu quo ante Ă©tant impossible, il Ă©tait nĂ©cessaire de s’appuyer sur des personnalitĂ©s locales favorables au maintien de la prĂ©sence française. C’est dans ce contexte que se met en place la solution Bao DaĂŻ, Ă  savoir le retour de l’ex-empereur d’Annam sur sont trĂ´ne, dans un Vietnam enfin unifiĂ©. Ă€ la fin de l’annĂ©e 1949, le processus politique dĂ©bouche sur la crĂ©ation de trois États associĂ©s Ă  la France : le Vietnam, le Laos et le Cambodge. Ces derniers ont Ă©galement la mission de mettre sur pied des armĂ©es nationales afin de participer Ă  la dĂ©fense et Ă  la sĂ©curitĂ© de leur territoire, le souhait de la France Ă©tant bien, Ă  terme, de se dĂ©sengager d’un conflit qui grève lourdement ses finances.

Un Ă©vĂ©nement gĂ©opolitique extĂ©rieur va, une fois encore bouleverser la situation. En effet, Ă  la fin de l’annĂ©e 1949, la victoire de Mao et son armĂ©e sur les nationalistes de Tchang KaĂŻ-Chek et l’instauration d’une RĂ©publique populaire de Chine, permet dĂ©sormais au ViĂŞt-Minh de disposer d’un sanctuaire oĂą, Ă  l’abri de toute intervention française, son bras armĂ©, l’armĂ©e populaire vietnamienne (APV), va pouvoir Ă©quiper, instruire et entraĂ®ner ses cadres et ses combattants. Le gĂ©nĂ©ral Giap, son commandant en chef, dĂ©veloppe avec l’aide de conseillers chinois un corps de bataille moderne qui sait, dès l’étĂ© 1950, manĹ“uvrer et coordonner ses actions. La guerre change de nature ; si les combattants français le comprennent bien sur le terrain, le haut commandement n’en prend vĂ©ritablement conscience qu’à l’issue de la bataille de la Zone frontière du Nord-Est, plus connue sous le nom de bataille de Cao Bang (ou de la Route coloniale 4). Les tergiversations et erreurs des autoritĂ©s gouvernementales, en France, ou locales, en Indochine, conduisent Ă  la disparition, au mois d’octobre 1950, de milliers de soldats du corps expĂ©ditionnaire, tuĂ©s ou faits prisonniers, ces derniers commençant une longue captivitĂ© placĂ©e sous le sceau des privations et de la rĂ©Ă©ducation politique.

Au lendemain du dĂ©sastre de Cao Bang, le gouvernement français, qui n’est pas encore dans une logique de sortie de guerre, nomme un chef prestigieux au poste de commandant en chef et de haut commissaire de France : le gĂ©nĂ©ral de Lattre de Tassigny. Ce dernier reçoit la triple mission de redresser le moral du corps expĂ©ditionnaire, de dĂ©velopper l’armĂ©e nationale vietnamienne et d’obtenir un accroissement de l’aide amĂ©ricaine, ce qu’il parviendra en partie Ă  rĂ©aliser. Les victoires qu’il obtient au dĂ©but de l’annĂ©e 1951, dont celle de Vinh Yen en janvier, portent certes de rudes coups Ă  l’APV, mais ne changent rien Ă  la situation d’un point de vue stratĂ©gique. Avec Bao DaĂŻ et les autoritĂ©s vietnamiennes, les relations sont difficiles et, au mois de septembre 1951, le gĂ©nĂ©ral de Lattre ne fait pas montre d’un grand optimiste lorsqu’il Ă©crit : « Il peut survenir une catastrophe en Indochine, il ne peut pas y surgir de miracle ».

Ă€ partir de 1952, son successeur, le gĂ©nĂ©ral Salan se contente de parer, avec intelligence (la victoire de Na San, au mois d’octobre, en tĂ©moigne), les offensives lancĂ©es par l’APV qui dispose d’une masse de manĹ“uvre Ă  cette date supĂ©rieure Ă  celle du corps expĂ©ditionnaire. Ses quelque 200 000 hommes, aidĂ©s par les soldats des armĂ©es nationales sont en effet absorbĂ©s par des servitudes et des missions d’ouverture de routes et seuls quelques bataillons, en majoritĂ© parachutistes ou lĂ©gionnaires, sans cesse sur la brèche, constituent la rĂ©serve gĂ©nĂ©rale du commandant en chef. Au dĂ©but de l’annĂ©e 1953, Salan est remplacĂ© par le gĂ©nĂ©ral Navarre qui doit, « avec des yeux neufs Â» crĂ©er les conditions favorables Ă  une sortie de guerre : le fardeau de la guerre d’Indochine est devenu insupportable aux finances françaises et est, d’un point de vue militaire, dans une impasse. Le plan qu’il Ă©labore est toutefois mis Ă  mal par la stratĂ©gie du ViĂŞt-Minh qui cherche Ă  Ă©liminer toute prĂ©sence française en pays thaĂŻ et Ă  internationaliser la guerre en menaçant le Laos. La rĂ©occupation de la vallĂ©e de DiĂŞn BiĂŞn Phu, Ă  partir du mois de novembre 1953, est une rĂ©ponse Ă  l’offensive du ViĂŞt-Minh. La base aĂ©roterrestre voulue par Navarre se transforme progressivement en camp retranchĂ© devant la volontĂ© de l’APV de faire tomber la garnison française. La dĂ©cision, prise Ă  Berlin au mois de fĂ©vrier 1954, de rĂ©unir une confĂ©rence chargĂ©e de dĂ©battre « du rĂ©tablissement de la paix en Indochine Â», renforce cette volontĂ© et, Ă  compter de cette date, HĂ´ Chi Minh et Giap sont bien dĂ©cidĂ©s Ă  arriver Ă  la table des nĂ©gociations avec un atout de poids : la chute de DiĂŞn BiĂŞn Phu. MalgrĂ© le courage des dĂ©fenseurs français, la bataille qui dĂ©bute le 13 mars 1954 s’achève par une dĂ©faite le 7 mai 1954. Cette dernière accĂ©lère la fin de la guerre et, le 21 juillet 1954, les accords de Genève qui mettent fin aux hostilitĂ©s en Indochine consacrent la crĂ©ation de deux États et divisent le pays Ă  hauteur du 17e parallèle.

La France va encore rester deux annĂ©es au Sud-Vietnam, deux annĂ©es au cours desquelles, son influence et sa prĂ©sence sont progressivement supplantĂ©es par celles de « l’alliĂ© Â» amĂ©ricain qui a dĂ©cidĂ© de faire de Ngo Dinh Diem, devenu prĂ©sident du Sud-Vietnam Ă  la fin de l’annĂ©e 1955, son champion dans la lutte contre le communisme. Au dĂ©but de l’annĂ©e 1956, c’est ce dernier qui, après avoir dĂ©noncĂ© tous les accords liant encore son pays Ă  la France, demande Ă  Paris de retirer ses troupes. Le 28 avril 1956, le corps expĂ©ditionnaire français d’ExtrĂŞme-Orient est dissout et ses dernières unitĂ©s constituĂ©es quittent le Sud-Vietnam. Près de 100 000 soldats de l’Union française sont, au total, morts au combat, des suites de leurs blessures, dans les camps du ViĂŞt-Minh ou du fait de maladie entre 1945 et 1954 ; parmi eux, l’armĂ©e française dĂ©plore la perte de plus de 20 000 officiers, sous-officiers et soldats mĂ©tropolitains contre 11 000 lĂ©gionnaires, 15 000 Africains et Nord-Africains. Enfin, 45 000 combattants cambodgiens, laotiens mais principalement vietnamiens, ont Ă©galement disparu auprès de leurs frères d’armes europĂ©ens ou africains. Aujourd’hui la France et le Vietnam entretiennent des relations apaisĂ©es autour d’un passĂ© commun dont quelques lieux et quelques rĂ©alisations tĂ©moignent de la prĂ©sence française. Autour du delta du fleuve Rouge et de HanoĂŻ, les blockhaus de la ligne de Lattre, dĂ©sormais silencieux, rappellent Ă  eux seuls cette guerre du « bout du monde Â» qui n’a suscitĂ© que peu d’intĂ©rĂŞt Ă  l’époque de la part de la France et pour laquelle, pourtant, sont tombĂ©s nombre des siens. Souvenons-nous.

 

Ivan Cadeau

in.

 

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