Il est bien connu que l’Armistice de la Grande Guerre entra en vigueur à la onzième heure du onzième jour du onzième mois de l’année 1918. Or le front occidental s’étendant sur des centaines de kilomètres, des dizaines de clairons furent nécessaires pour que la sonnerie du « cessez le feu » parvienne, simultanément, aux oreilles de tous les combattants. Dans ces conditions, on se pose la question de savoir comment le caporal clairon Pierre Sellier, peut revendiquer le titre de « clairon de l’Armistice », au détriment des nombreux autres. En fait, le titre de « clairon de l’Armistice » est trompeur. S’il récompense bien la sonnerie de la mélodie du cessez le feu, il ne s’agit pas de celle jouée le 11 mais le …7 novembre 1918.
- I) Un modeste combattant plongé dans la « Grande » Histoire :
Pierre Sellier voit le jour, le 8 novembre 1892, à Beaucourt, commune du territoire de Belfort. Il grandit dans un milieu modeste, son père est ouvrier et sa mère ménagère. Cette dernière disparaît alors que Pierre Sellier n’est âgé que de 7 ans. Quelque peu délaissé, il n’est pas un élève très assidu. Lorsqu’il quitte l’école, il est presque analphabète. A 12 ans, il fait son entrée à celles de Peugeot à Sochaux. En octobre 1913, il est appelé sous les drapeaux pour effectuer son service militaire au sein du 171e R.I., à Belfort. Preuve que, même s’il n’a pas brillé dans les études, il est intelligent, il sait très bien jouer du clairon. Remarqué par ses supérieurs, il est intégré à la musique du régiment. Quelques mois après son incorporation, la Grande Guerre éclate. Au cours de celle-ci, le Caporal Pierre Sellier fait preuve d’un grand courage et obtient plusieurs citations accompagnées de décorations.
Le 7 novembre 1918, Pierre Sellier fait toujours partie du 171e R.I., plus précisément du 1er bataillon du Capitaine Lhuillier. Son unité tient le front en avant de La Capelle, fraîchement libéré, dans le département de l’Aisne. Le matin de cette journée, qui peut sembler si commune à Pierre Sellier et à ses camarades, le Haut Commandement allemand a manifesté au Maréchal Foch, son intention d’envoyer des plénipotentiaires négocier un armistice. Or le chemin que doivent emprunter ces derniers, passe par la route Chimay-Fourmies-La Capelle-Guise. Autrement dit, la délégation de Mathias Erzberger doit franchir les lignes françaises dans le secteur de la 3e compagnie du 171e R.I…. A 7 heures, un messager cycliste, annonce la nouvelle au Capitaine Lhuillier, qui prend ses dispositions pour éviter toute méprise. Plus tard dans la matinée, la radio confirme l’établissement d’un cessez-le-feu de 13 heures à minuit. Les heures passent et ce n’est qu’à 20 heures 20, qu’une automobile, portant un drapeau blanc, se présente devant les avant-postes de la 3e compagnie. Sur le marchepied du véhicule, se trouve le trompette Arthur Zobrowski, sous-officier des Uhlans. Le capitaine Lhuillier ordonne au caporal Sellier de sonner le « cessez le feu », dont la mélodie se propage à l’ensemble des unités du secteur. Le Capitaine Lhuillier a ordre de mener la délégation allemande à La Capelle, PC du 171e R.I., où un officier d’état-major de la 1re Armée la prendra en charge. La voiture du Capitaine Lhuillier ouvre la marche à travers les positions de combat françaises.
A sa suite, la voiture des plénipotentiaires allemands, s’ébranle. Mais sur son marchepied, Pierre Sellier a remplacé Arthur Zobrowski. Le caporal Sellier joue sur le parcours différents refrains militaires. A l’arrivée à La Capelle, la musique des 171e R.I. et 19e et 26e B.C.P. prend le relais avec la Marseillaise. La mission historique de Pierre Sellier s’achève à cet instant.
Pierre Sellier devant le monument dit « La pierre d’Haudroy »
Il est le premier clairon français à avoir sonné le « cessez le feu », sur le front occidental. Toutefois, il ne s’agissait que d’un cessez le feu temporaire, qui prit fin à la première seconde du 8 novembre. Les combats reprennent et de nombreux noms viennent encore s’ajouter à la longue liste des victimes de la Grande Guerre. Nul doute que si les négociations débutées le 8 novembre n’avait pas abouti à l’armistice du 11 novembre, Pierre Sellier serait resté dans l’anonymat le plus complet.
- II) Monter un « show » aux Etats-Unis ? Certainement pas…
Démobilisé le 28 août 1919, Pierre Sellier bénéficie d’une grande popularité et obtient le titre de « clairon de l’armistice ». En 1925, il est sollicité par l’American Legion, pour réaliser une tournée à travers les Etats-Unis. Son spectacle serait on ne peut plus simple pour lui : sonner la mélodie historique. Toutefois, il se refuse à abandonner la vie modeste qu’il mène en France. Il reçoit également une proposition de son homologue allemand, Arthur Zobrowski. Ce dernier ayant compris que les Etats-Unis constituent le pays où « tout se vend », propose d’y monter un spectacle mettant en scène les deux clairons. Cependant, Pierre Sellier décline l’invitation. Il souligne le fait que les drames sont encores trop récents. Les peuples pourraient être choqués à la vue des deux ennemis de la veille réunis sur une même scène. Les Américains ne se découragent pourtant pas. S’ils ne peuvent obtenir le musicien, peut-être peuvent-ils obtenir l’instrument pour un bon prix. Pierre Sellier refuse, arguant que l’objet doit rester en France. D’ailleurs, il en fait don au musée des Invalides, à la fin de l’année 1925.
III) Pierre Sellier ne « raccroche » pas le clairon :
Suite à son don au Musée des Invalides, la maison d’instruments de musique, Couesnon, lui fait cadeau d’une réplique de son clairon. Ainsi, il peut continuer à sonner le « cessez-le-feu » au cours de différentes cérémonies, à travers toute la France : Rouen, Lyon, La Capelle, Montpellier, Honfleur,… A titre d’exemple, il est acteur de la cérémonie d’inauguration de la statue du Maréchal Foch, à la clairière de l’Armistice, en 1937. Quasiment tous les ans jusqu’à sa mort, il le fait aussi au même endroit que le 7 novembre 1918, où un monument, « la pierre d’Haudroy » est inauguré en 1925.
Au déclenchement du second conflit mondial, Pierre Sellier n’est plus mobilisable. Malgré tout, il fait le choix d’entrer en résistance et rejoint le maquis de Lomont, dans le Doubs, en 1944. A la libération, il s’engage dans la 1re armée et effectue une partie de la campagne Rhin et Danube. Le 19 mai 1949, il décède, à l’âge de 57 ans et est inhumé au cimetière de Reppe.
Depuis sa mort, la région de Beaucourt a entretenu la mémoire de son illustre enfant. En 1956, une rue de Beaucourt est baptisée de son nom. En novembre 1988, une stèle de granit est implantée au carrefour avec la rue Vandoncourt. Pour le 80e anniversaire des événements de 1918, le club philatéliste de Beaucourt, édita une enveloppe portant l’effigie de Pierre Sellier. Hommage lui a été rendu en dehors des frontières du territoire de Belfort, le 7 novembre 2008, lorsque la ville de La Capelle nomme son collège « Pierre Sellier ».
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