Avril 2024

UFAC – Newsletter #11

A Paris, on perçoit déjà les prodromes1 de la guerre Parlons clair ! On ne peut pas comprendre ce qui se joue en Ukraine si l’on n’adopte
pas cet axiome : “Les Américains veulent que l’Ukraine gagne la guerre, mais, en même temps, ils ne veulent pas que la Russie la perde”.
L’objectif de Washington est que la Russie soit suffisamment affaiblie pour ne plus avoir les moyens de concrétiser ses ambitions impériales et ne plus être tentée de
“reconquérir” les territoires d’anciens membres de l’URSS ou de ses satellites. Mais, pour autant, les Américains ne souhaitent pas que la Russie s’effondre et laisse
place au chaos ou, pire encore, que, poussé dans ses retranchements, monsieur Poutine ne déclenche l’apocalypse en s’appliquant à lui-même, la maxime de Louis
XV : “Après-moi le déluge”.
Avant le 24 février 2022, la politique étrangère américaine était focalisée sur la zone indopacifique et un bras de fer avec la Chine était engagé. L’agression contre
l’Ukraine a obligé Washington, à son grand dam, à s’intéresser à nouveau à l’Europe.
Pour ne pas réitérer cette expérience et pouvoir se réorienter vers leur objectif principal, les États-Unis doivent donc avoir l’assurance que l’ours russe aura les
griffes suffisamment rognées pour ne plus se lancer dans une telle aventure. Toutefois, ils savent aussi que, comme l’ont démontré les fâcheuses expériences
irakienne ou libyenne, éliminer un dictateur peut ouvrir la voie, à travers l’effondrement de l’État concerné, à toutes sortes d’aventures plus préoccupantes
encore que l’état ante.
C’est, du moins, la position de l’actuel président des USA ; si ce n’était pas le cas, il aurait fourni depuis longtemps à l’Ukraine les armes lui permettant de faire la
différence, notamment des avions de combat.
Quant à son concurrent pour la prochaine élection présidentielle, monsieur Trump, il déclare que, s’il est élu, la guerre en Ukraine cessera dans les vingt-quatre heures.
Cela signifie qu’il obligera l’Ukraine, sous la menace de ne plus lui fournir aucune aide, à se rendre à la table des négociations et à accepter la perte définitive de la
Crimée et du Donbass. Il ne sera nullement question pour lui d’intervenir, même dans le cadre de l’OTAN qu’il menace en outre de quitter.
Mais il se trouve qu’en Europe, le président de la République française, monsieur Emmanuel Macron, est passé du “il ne faut pas humilier la Russie à “la Russie ne
doit pas gagner la guerre”. Avec le temps et après avoir subi de nombreuses humiliations de la part de monsieur Poutine, il a enfin compris que, pour celui-ci, seul
importe le rapport de forces et qu’il fallait parler le même langage que lui.
Son message en direction du Kremlin est donc le suivant : même si les États-Unis se désengagent, n’oubliez pas que l’Europe existe et qu’en son sein, la France dispose
de l’arme nucléaire. Nous aiderons l’Ukraine sans limites et franchirons si nécessaire toutes les lignes rouges pour ce faire.
Quelle est, dans cette nouvelle posture, la part d’opportunisme permettant à notre président, alors que la chancelier allemand Olaf Scholz, tétanisé et hors du jeu, est
en difficulté, de se poser comme assurant le leadership de l’Europe au risque de choquer nombre de ses partenaires qui lui reprochent une forme de brutalité ? En
réalité, il est vraisemblable que le président français a désormais la certitude que défendre l’Ukraine c’est défendre l’Europe tout entière et que, si la Russie gagne
cette guerre, rien ne l’arrêtera plus pour de nouvelles agressions.
Son message est autant à l’intention des autres pays européens que de sa propre opinion publique. Quand il parle de lâcheté, il s’adresse bien évidemment à monsieur
Scholz et dénonce un esprit “munichois” qui, si le terme a été souvent galvaudé, n’a jamais été autant d’actualité. Mais il s’adresse aussi aux Français pour préparer les
esprits au pire qui, s’il n’est pas toujours sûr, est toujours possible. Il appelle la Nation à se rassembler et souligne que si hier l’on n’a pas voulu mourir pour Dantzig,
peut-être faudra-t-il demain mourir pour le Donbass.
Quoi qu’il en soit, monsieur Macron se pose ainsi en principal adversaire de la Russie et, de fait, depuis le début du mois de mars, est désigné comme tel par
Moscou. Toutefois, une certaine prudence est toujours de mise, car les fameuses lignes rouges dont il parle se rapportent à l’aide à l’Ukraine et non pas à de
quelconques actions contre la Russie elle-même.
Cependant, même si la menace n’est pas encore à nos portes, souvenons-nous de Sarajevo ! Celui du 28 juin 1914 qui a vu l’assassinat d’un obscur archiduc, certes
prince héritier de l’Empire d’Autriche Hongrie, mais pratiquement inconnu des chancelleries européennes. Et pourtant ! La conséquence en fut une guerre
mondiale de 51 mois, 20 millions de morts, 21 millions de blessés et le démembrement de quatre empires : russe, austro-hongrois, allemand et ottoman.
Aujourd’hui la guerre en Ukraine, outre l’affrontement direct de deux armées nationales et de milices plus ou moins affiliées à celles-ci, génère de nombreuses
“frictions” aux frontières entre la Russie et ses voisins immédiats (Pays Baltes, Pologne, Roumanie, Moldavie), y compris dans les espaces aériens correspondants
et jusqu’en Méditerranée où des navires occidentaux sont souvent victimes d’attitudes “inamicales” de la part d’unités de la marine russe. En outre, depuis peu,
la flotte russe du Nord a repris, en mer de Barents, une forte activité qui inquiète fort les pays scandinaves et principalement la Finlande et la Norvège.
Le mercredi 06 mars 2024, alors que le président ukrainien Volodymyr Zelensky visitait Odessa accompagné par le premier ministre grec Kyriakos Mitsoakis, un
missile russe est tombé à moins de 300 mètres des deux hommes qui n’ont pas eu le temps de se mettre à l’abri Si, par cet acte à l’évidence délibéré, le premier ministre
d’un pays membre de l’OTAN avait été tué, que ce serait-il passé ?
Où pourraient nous conduire de telles “bavures” ? À une troisième guerre mondiale comme Sarajevo nous a conduits à la première ? Certes, le contexte n’est pas le
même et, en particulier, la dissuasion nucléaire n’existait pas en 1914. Cependant, l’arme nucléaire est-elle une garantie absolue d’éviter l’extension de la guerre ? Arme
de non emploi, elle suppose que ceux qui en sont dotés adhèrent à l’essence même de la dissuasion qui repose sur un raisonnement cartésien, presque sur une logique
mathématique : si tu me fais du mal et même si tu me détruis, je serai moi-aussi capable de te détruire. Est-on sûr que le logiciel intellectuel de monsieur Poutine
fonctionne comme le nôtre et que le maître du Kremlin soit sensible à une casuistique nucléaire qui repose sur un mode de raisonnement extrêmement
subtile ?
L’humanité risque-t-elle son anéantissement pour un simple malentendu? Les deux axiomes sur lesquels reposait le sentiment de sécurité en Europe depuis
l’effondrement de l’URSS à savoir, plus de guerre et la garantie du “parapluie” nucléaire américain, disparaissent en même temps. Le vertige s’empare des chefs
de gouvernements européens. Seul Paris semble garder la tête froide en invitant les autres états à se préparer au pire et à refuser la lâcheté. Soit la France réussira à
entraîner les autres nations européennes, soit elle restera isolée. C’est un pari qui n’est pas exempt de danger mais c’est le pari de la France autour duquel nous
devrions tous nous rallier.
Gilbert ROBINET
Secrétaire général adjoint de l’UFAC
La teneur des propos de ce texte n’engage que la responsabilité de son auteur

1 Prodrome : fait qui présage un événement, qui constitue le début d’un événement. Signe avant-coureur.

 

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