Quand la mémoire collective s’efface devant les réglementations incontournables !

Il aurait suffi d’un geste , l’octroi d’une distinction honorifique à titre posthume, pour permettre d’accompagner la famille vers la résilience !

Ce geste aurait été salué par les élèves de Madame Stéphanie Ramos.

Ce geste n’a pas pu être !

Comment alors expliquer dans les lycées, les collèges, le déploiement d’événements mémoriels auxquels ils seront sans aucun doute associés pour le 80ème anniversaire de la Libération ?

Mon grand Père, lettre tribune de Stéphanie Ramos 

L’expérience de la guerre marqua à jamais mon grand-père. Né le 10 août 1914 à Prudon en Algérie, classe 35, soutien de famille, il fut mobilisé entre 1936 et 1945, meurtri par la séparation avec ses proches. Au retour de la guerre, comme tous ceux qui en sont revenus, il s’est dit : jamais plus.

A partir de cette épreuve est né pour nous le profond espoir d’un combat pour une reconnaissance de ce dernier : Inlassable écho et un véritable crédo pour notre famille.

 Enseignante, je m’interroge du comment expliquer à des élèves une telle incohérence : c’est perdre silencieusement et scandaleusement neuf années de combat, faites de l’horreur des massacres et des mutilations. De sanglantes batailles engagées pour si peu de reconnaissance.  .. .

En effet, à la fin de la guerre, mon grand-père a hérité d’une infirmité pensionnée, une commotion aux poumons. Une invalidité de guerre reconnue au taux de 100 pour cent à titre définitif. Il est décédé des suites de son affection de guerre.

Quatre-vingts ans après, votre décision ne les voit plus.

Oui, l’horreur s’efface.  Il s’est battu pour la paix, le droit, pour la liberté, comme tous ceux de sa génération. Ces guerres seraient elles alors inutiles ?

Sa guerre aurait dû être la guerre du droit. Ce sont ces textes de lois même par l’étroitesse de leurs conventions qui ne font pas rentrer dans leurs petits papiers la bravoure et le sacrifice d’une vie. Nous, enfants, petits-enfants, nous avons vécu depuis mais dans le temps de l’injustice.

 

Mais quant à moi, je ne peux pas oublier.

Je ne peux pas comprendre qu’une expérience tragique ne soit pas féconde.

Je souhaiterais dépasser cette expérience personnelle de la guerre pour la fondre dans celle de toute une génération qui fut sacrifiée au feu. J’aurais voulu exprimer ce « nous » fraternel, commun à toutes les générations. Il semble que dans les textes, la souffrance n’ait plus de visage.  Pourtant une vérité y gagne. Une vérité humaine, celle d’une famille meurtrie.

Mon travail alors aussi est inutile. Enseigner aux élèves qu’on peut mourir pour rien…

 Tandis que j’avais seize ans, le choc initial et essentiel de voir mon grand-père souffrir d’étouffements et mourir des suites de guerre déterminera mon combat et sa relation si singulière à l’Histoire, à l’histoire des hommes.

Je vous dis ici mon refus d’obéissance, face à cette amnésie délibérée. Il me reste simplement, maigre consolation, l’écriture de la vie, comme pour se guérir de cette scandaleuse réponse.  Un exercice de purgation, comme pour se défaire des images insupportables de mon grand-père souffrant. J’extirpe de la mémoire une matière qui je l’espère pèsera lourdement sur vos consciences.

 J’ai honte, Madame la Ministre, de ne pouvoir le célébrer, lui le généreux hémorragique de l’héroïsme.  Le souvenir de mon grand-père abîmé, altéré dans son être ; mené à l’abattoir du grand charnier des hommes. Tant d’asservissement pour un papier finalement qui pervertit tout au plus profond de la nature des choses et du monde. Du troupeau comme de l’humanité tout entière, mon grand-père a fait partie du « grand troupeau » mais il y a plus grave, à titre posthume, que ne soient pas reconnus des êtres singuliers, cela signifie la perte totale de soi comme conscience et comme sensibilité vivante.

Je voudrais pour finir tendre vers l’universel. De cette vie de séparation, qui porte leur faix de souffrance, la vie de mon grand-père et celle de mon père sont unies secrètement par les fils invisibles de la pensée et du cœur. En effet, soutien indispensable de famille, mon père, Monsieur Ramos José, né le 21 février 1944, à Oran a été reconnu par le tribunal orphelin de guerre et pupille de la nation.

 Quel dommage que votre ministère n’ait pas rendu au centuple ce qu’elle lui avait pris. Mais vous n’aurez que sa peau et son sang, son souffle étouffé. Car dans un magnifique retournement, je resouffle son âme par mes écrits.  Votre décision a été difficile à ingérer. Cette innutrition sera l’occasion pour moi, d’un ultime combat, celui de l’écrit.

 Que ces derniers portent la marque du courage de mon grand-père et de tant d’autres hommes, et de la douleur d’une famille dont on ne peut se laver.

Stéphanie Ramos

 

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