Lili LEIGNEL   l’infatigable messagère, revenue de Bergen-Belsen en 1945.

Née le 15 septembre 1932 à CROIX (Nord). Elle est la fille de Joseph Rosenberg et de Charlotte Keller, a 2 frères : Robert et André. Famille de réfugiés juifs Hongrois vers 1930. Ils résident au 42, boulevard d’Armentières à Roubaix. Le père tient une teinturerie, quant à la mère elle est couturière. Les enfants fréquentent l’école communale, mais ont peur des soldats allemands armés et casqués qui défilent en ville.

Vers 1940 devant le possible danger nazi Lily et ses frères seront cachés.

Lili raconte : ce sera le geste généreux du curé de la paroisse Saint Antoine, un certain Abba Flipo, qui nous répartira dans sa famille. Moi chez son  frère et sa belle sœur qui avaient déjà 3 enfants, Robert chez un autre parent et André (3 ans) chez sa sœur et son  beau-frère. Nous étions bien chez eux, nos parents nous manquaient, mais n’avions que peu de rencontres à cause du risque.

Puis un jour mes parents nous ont fait revenir car l’anniversaire de maman, le 27 octobre 1943, était proche. Papa et nous, avions préparé cet événement. Hélas tragique idée ce retour, mais imprévisible..

Ce même jour toute la famille est arrêtée par la Feldgendarmerie à 3 heures du matin. Avions-nous été dénoncés ou était-ce la malchance ? Sans réponse par la suite. Les « schnell…loss » (vite- dehors) retentissaient sans arrêt, accompagnés parfois de coups de crosse.

Au rez-de-chaussée un couple âgé, avec qui nous étions amis, avait très peur pour nous. Arrivés dans la rue plusieurs camions bâchés nous  attendaient. Nous y sommes montés. Destination la prison Saint-Gilles de Loos les Lille pour 2 ou 3 jours, notre père est séparé de sa famille et mis dans une autre cellule que la notre. Nous avions, nous les enfants 11, 9 et 3 ans.

Puis ensuite départ de la famille réunie, pour la Belgique, convoi Z1 dans un wagon à bestiaux, type 8 chevaux et nous étions une centaine. C’était le 13 décembre 1943, arrivée à Malines, caserne Dassin1 lieu de rassemblement belge. Comme l’était  Drancy en France. Des SS allemands mais aussi flamands2 nous accueillent. Les coups de cravachent pleuvent, les humiliations aussi comme la propreté des pieds : allongés sur le lit ou son ressemblant, les SS vérifient : si propres OK, sinon dehors pour les laver …..dans le  froid et pour un temps interminable.

 Nouveau départ : cette fois nouvelle séparation d’avec Papa Joseph qui sera dirigé vers Buchenwald et Maman Charlotte et nous vers Ravensbrück dans un 1er temps, arrivés début décembre 1943 puis à nouveau pour un trajet de 4/5 jours vers Bergen-Belsen3 en dernier, début février 1945. Arrêt du train, maman est réquisitionnée pour décharger les wagons où  s’entassent les cadavres et les immondices. On nous emmène vers des blocks, le 31 pour nous, qui sont déjà occupés en partie.

Nous étions dans le camp de la mort lente où le typhus régnait. Maman était sans réaction face à nous ses enfants qui ne comprenions pas la situation. Elle se laissait aller, était sans réaction. Elle nous recommandait de faire notre toilette chaque jour quitte à se lever ½ heure plus tôt. Nous souffrions du froid, des humiliations et surtout de la faim. Les gens se précipitaient quand arrivait la grande marmite de soupe. Nous, nous attendions que la cohue soit terminée pour aller nous servir ….oui, oui parce que nous avions remarqué que les légumes, ou plutôt le rutabaga se trouvait au fond. Dans les circonstances présentes chacun se débrouillait.

J’ai été tatoué du numéro « 25612 », à connaître par cœur en français et allemand.

L’enfer commençait. Regroupement sur la place du camp. Entrée dans une vaste pièce, les hommes à gauche, les femmes à droite et tout le monde doit se mettre «tout  nu »….période où la pudeur était de rigueur. Donc un traumatisme certain ce jour-là.  Puis 1 par 1 il fallait passer dans une petite guérite où un jeune médecin nazi, regardait si aucun bijou n’était caché dans nos parties intimes, l’humiliation maxi que je n’oublierai jamais.

Puis un jour de 1945, le 15 avril, des soldats britanniques nous libèrent tout en découvrant l’horreur. Distribution de nourriture, Maman trop faible et malade, atteinte du « kopftyphus »  typhus le plus grave, est envoyée au « Revier». Nous sommes libres et partons, mon frère Robert a mis toute la nourriture trouvée dans un baluchon tandis que moi je porte André trop faible pour marcher. Mais c’est à mon tour de ne plus pouvoir, Robert abandonne, non sans regrets, son baluchon et nous portons le petit dernier tous les deux, jusqu’à un wagon nettoyé heureusement et avec de la paille propre sur le plancher.

 Lili à son retour en 1945

 

Arrivée à Bruxelles dans une gare très animée, mais nous sommes toujours sans maman. Nouveau départ cette fois pour Paris et l’hôtel Lutetia, anciennement occupé par les Allemands mais devenu le centre d’accueil des déportés. Beaucoup de familles à la recherche d’un des leurs, mais pour nous, il n’y avait personne.

Trois enfants seuls, errent dans cet espace cela attire journalistes et radios.

La chance va un peu nous sourire en ce sens qu’une assistante sociale nous repère, nous questionne. Puis demande à son frère chirurgien dentiste de nous accueillir tous les trois. Après quelques jours chez eux, je me rappelle du nom d’une tante (elle aussi déportée) habitant les Deux-Sèvres. Notre hôte fait des recherches, la retrouve. Elle vient nous récupérer.

La Croix Rouge nous prend ensuite en charge et nous envoie dans un préventorium à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) pour nous refaire une santé, pendant quelques jours. Puis un jour la porte de la chambre s’ouvre doucement et qui apparaît ?  Maman…Quel Bonheur. Nous allons encore rester un peu dans ce préventorium pour que maman « sorte » de ses 27 kg. Puis repartir chez nous à Roubaix.

Roubaix : plaisir de retrouver sa maison mais cruelle découverte elle a été pillée, même le papier tapisserie. Comment surmonter cette nouvelle épreuve et survivre. Heureusement des voisins exceptionnels nous fournissent vaisselle, table, meubles et literie. Le moral revient et Papa ne saurait tarder à revenir.

On se renseigne et d’anciens déportés nous apprennent qu’il a été exécuté, avec d’autres, 3 jours avant l’arrivée des troupes US.

Terrible épreuve supplémentaire : maman veuve avec 3 enfants. Elle reprendra son métier de couturière avec détermination et saura se créer une nombreuse et fidèle clientèle. La vie reprend peu à peu. Dans ce camp j’ai connu Anne FRANK, Simone VEIL, Geneviève De GAULLE, Martha DESRUMAUX, résistante communiste ainsi qu’une certaine Stella5.

Nous avons essayé parfois de raconter notre parcours mais certains ne nous croyaient pas, nous nous sommes donc tus.

Jusqu’à ce jour de 1983, où j’entends, à la radio, parler de négationnisme, de remise en cause des chambres à gaz. Moi la timide, me voilà révoltée et suis décidée à parler 40 ans après, en particulier aux jeunes, de cette tragédie.

Lili LEIGNEL sur  scène

Me voilà donc partie non pas en croisade encore que ! ! Je visite plusieurs collèges et lycées, dans plusieurs départements, villes (Toulouse, Caen, Vannes, Rodez, etc.)  soit environ 25 000 élèves par an. Peut-être irai-je en Belgique. Je leur recommande d’être vigilants, de ne pas croire ou laisser dire n’importe quoi. De combattre racisme, xénophobie et antisémitisme. D’être aussi tolérants. Ils sont la France de demain.

J’ai  survécu à ce drame par la présence de Maman qui n’a jamais baissé les bras, qui avait le désir de vivre…pour au moins raconter. Mon plus grand souhait : que l’on comprenne mon témoignage. Puis plus utopique : l’arrêt des guerres !

Notes :

1°) ouvert le 2 juillet 1942 pour les juifs belges.

2°) l’un d’eux était surnommé « Pferdekpof » = tête ( kpof) de cheval qu’il avait vraiment.

3°) camp réservé aux femmes.

4°) le « revier » prononcé « revir » par les Français est l’infirmerie du camp. De l’allemand « krenkenrevier »-à quartier des malades

5°) STELLA : père Espagnol, mère Anglaise, sa mère décède très vite. Est prise en charge à la libération du camp par une déportée Russe, qui l’emmène dans son pays et l’adopte. Elle tombe amoureuse du fils et l’épouse. Ils ont 2 enfants. Son père retrouve sa trace va en Russie pour la ramener mais elle préfère restait où elle a refait sa vie et où est sa nouvelle famille. De temps en temps nous nous rencontrons.


Distinctions : Officier Légion d’honneur (2020), Officier ordre national du Mérite (2016), Officier des Palmes Académiques (2016).

Reconnaissances : son nom au « Collège Lili KELLER ROSENBERG » à Hallouin (Nord) le 2 novembre 2019.

Elle reçoit toujours de nombreux courriers comme par exemple celui d’une jeune fille palestinienne qui n’avait pas envie de l’écouter mais a cédé et qui remarque qu’il n’y a aucune haine dans ses paroles et qui termine en « espérant lui ressembler un jour ». Ou cet autre d’un magrébin : Bravo Madame, j’en ai parlé à mes enfants, mes petits enfants. Signé « Mohamed votre plus grand fan ».

Livres :  «  Et nous sommes revenus seuls » , « Je suis encore là »

 

Film : d’Anice Clément , « Lily une petite fille dans les camps nazis » (2022)

Sources : reportage TV du 16 octobre courant, sites internet divers, journaux locaux. Bande audio de film.

NDA : Mme Lily LEIGNEL a transformé sa souffrance en amour. Elle réside à Lille ,et est écrivain, conférencière.

          Personnellement je reste admiratif pour cette octogénaire active, s’exprimant de façon remarquable et qui ne manque pas d’humour.

          Et elle manie le smartphone avec aisance !

  J’ai peut-être pris quelques libertés dans le récit mais uniquement pour le rendre plus doux ! Elle ne m’en voudra pas.

 Et nous pupilles de la nation et orphelins de guerre nous ne pouvons   qu’approuver sa démarche. 

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