Toutes les semaines, nous publierons 2 extraits du Livre Blanc des pupilles de la Nation de la Fnapog   (Féderation Nationale Autonome des Pupilles de la Nation Orphelins de Guerre.)

 

En décembre 1940, les parents de Mathilde ont été tués dans un bombardement qui a touché la ville de Strasbourg. Elle avait quatre ans. Quatre-vingts ans plus tard, Mathilde évoque le souvenir de son enfance sous l’Occupation allemande et adresse un message de vivre ensemble, sur “La Libre antenne” d’Europe 1.

 

TÉMOIGNAGE Mathilde a 84 ans. Il y a 80 ans, ses parents mourraient dans un bombardement qui a touché la ville de Strasbourg pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle et ses trois frères et sœurs sont alors devenus pupilles de la Nation. Mathilde évoque le souvenir de son enfance passée sous l’Occupation allemande. Elle se souvient de la propagande, des jeunesses hitlériennes et de l’école allemande. Au micro d’Olivier Delacroix, sur “La Libre antenne” d’Europe 1, Mathilde livre un témoignage de la Guerre telle qu’elle l’a vécue.

J’ai 84 ans. Il y a 80 ans, mes parents sont morts dans le premier bombardement de Strasbourg. Ils étaient assis dans la cuisine après le travail. Nous, les quatre enfants, étions dans les chambres. La bombe est tombée dans la cuisine. Mes deux parents sont morts, projetés dans le jardin. Ils avaient 33 ans. L’aînée de mes petits-enfants a 33 ans, elle est pleine de vie. Je réalise que c’est dans cette période de la vie qu’ils ont dû partir à cause de la barbarie de la guerre. Ça fait 80 ans et les mêmes barbaries continuent dans d’autres pays. Les douleurs causées par ces barbaries sont les mêmes. Ça me révolte.

 Nous n’avons pas été aimés 

Je sais que je ne serai plus là quand ça fera 90 ans qu’ils sont morts pour la France. Nous étions pupilles de la Nation. Je pense tellement à eux. Parler d’eux, c’est un peu leur parler aussi. Cette mort brutale a marqué la vie de toute la fratrie. L’aîné avait 9 ans, ma grande sœur avait 8 ans, j’avais 4 ans et ma petite sœur avait 6 mois. À la mort des parents, la famille a été obligée de s’occuper de nous. Mais nous n’avons pas été aimés. Nous étions une grosse charge pour eux.

À leur enterrement, nous étions comme une foire au bétail. Mon grand frère et ma grande sœur devaient rester chez la grand-mère qui n’avait pas de moyens. Ma petite sœur de 6 mois a été recueillie par un autre membre de la famille et son épouse. Elle ne devait pas savoir qu’elle n’était pas leur enfant. C’est comme s’ils avaient volé les parents de ma petite sœur. Nous savions qu’elle était notre petite sœur, mais nous n’avions pas le droit de lui dire. Elle était devenue leur enfant. Je n’en parle pas, ce sont des choses qui sont enfouies en moi.

 Ils voulaient absolument nous germaniser 

En 1940, l’Alsace c’était un peu particulier. Il y avait une propagande hitlérienne qui disait que nous étions Allemands. Les premières années, j’étais à l’école allemande. Quand les forces de l’intérieur sont revenues, on devait parler français tout d’un coup. À l’école, je ne comprenais pas ce qu’on disait. Il y avait les jeunesses hitlériennes en Alsace. Ils voulaient absolument nous germaniser. Tout ce qui était sportif était valorisé. C’était un embrigadement de la jeunesse avec des perspectives de l’homme meilleur, fort et maître du monde. C’est par la jeunesse qu’on essaye d’introduire ces idées. On s’attaque aux jeunes parce qu’ils sont vulnérables. C’est facile de leur imposer des idées simplistes.

Quand on voit aujourd’hui des masses de personnes le bras levé criant ‘Heil Hitler’, c’est révoltant. Ce dictateur n’aurait pas pu faire ce qu’il a fait sans ces masses de gens. C’est le seul message que je voudrais faire passer : donnons-nous la main. Nous sommes tous humains, peu importe la couleur de peau et les cultures régionales et nationales. On n’est pas venus au monde en étant barbares. On a des qualités de cœur, faisons prospérer ces qualités-là. L’autre, c’est moi ! Moi, je me retrouve dans chaque être humain. Pour moi, l’enfant d’un autre, c’est mon enfant aussi.

J’évoque cette histoire à mes petits-enfants quand c’est le moment. Je ne les noie pas dans mon mal vécu. Quand ils peuvent l’entendre, je leur en parle. J’ai de très bonnes relations avec eux parce qu’ils m’ont permis d’être aussi un peu enfant pendant une période de ma vie. Ils m’ont apporté beaucoup de bonheur. Je leur ai parlé de ce que je savais des monstruosités que les Juifs ont subi, mais je n’ai pas eu l’intelligence de faire le rapprochement avec maintenant. Je pense que j’ai pu leur transmettre comment j’avais survécu à tout ça. Peut-être que je les ai menés dans une bonne direction. ”

 

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