1945……..2022

Ce récit écrit par Suzy, notre secrétaire, pourrait accompagner la description des images bouleversantes qui font l’actualité de ces dernières semaines, dans tous les médias, sur toutes les ondes ! Et rien n’arrête cet effroyable massacre, près de 80 ans après !

 Nous pourrions penser que ces images terribles sont sorties des archives de l’INA ! Elles sont bien réelles et pour nous pupilles de la Nation et orphelins de guerre, c’est la double peine, car elles sont imprimées en nous et nous les revivons sur les ondes. Comment cela est-il possible alors que durant toutes ces décennies, nous n’avons cessé de témoigner et de crier « plus jamais cela ! »

Cette guerre en Ukraine fait remonter en moi de très douloureux souvenirs. A partir de juin 1944, la France est peu à peu libérée de l’occupation allemande.

En novembre 1944, c’était le tour d’une partie de l’Alsace et de la ville de Strasbourg le 22 novembre par les troupes américaines. Mais les Allemands ne voulaient pas perdre l’Alsace et la Moselle. Hitler a préparé la contre-offensive appelée « Nordwind » (Vent du Nord) pour reconquérir Strasbourg puis l’Alsace.

A partir du 3 janvier, les troupes allemandes lançaient cette offensive et les troupes américaines les repoussaient plus au nord pour les éloigner de cette grande ville.

Petit à petit, les combats se rapprochaient dangereusement de mon village et le 7 janvier 1945 les chars allemands entraient à HATTEN à 50 kms au nord de Strasbourg.

Avec Maman, ma sœur (9 ans) et mon frère (7 ans) nous allions rejoindre d’autres voisins dans une cave qui pouvait contenir plus de 20 personnes. Je me rappelle qu’à notre départ le sapin de Noël trônait dans la salle à manger. Là, la vie s’organisait. Les adultes nous ont aménagés des couchages sur des clayettes débarrassées de leurs fruits. Un ou deux matelas accueillaient des personnes âgées.

Les premiers jours, le fermier dont la maison se trouvait de l’autre côté de la route allait traire ses vaches et nous appréciions ce lait frais. Mais les combats s’intensifiant, il était impossible de s’aventurer dehors. Les Américains et las Allemands occupaient chacun une partie du village. Nuits et jours les canons grondaient, les chars faisaient trembler les murs. C’était assourdissant. Un déluge de feu et de fer s’abattait sur le village. Des bombes éclataient dans l’étage de la maison. Dans l’entrée de la cave, des soldats blessés venaient se réfugier et nous les entendions gémir. Nous les plus jeunes étions terrorisés et nous nous recroquevillions sur les genoux de nos mamans. Les personnes âgées récitaient le chapelet.

Combien de temps a duré cette situation, il me semblait une éternité. Au bout de 8 ou 10 jours lors d’une accalmie d’une courte durée, il nous a été possible de quitter le village. En sortant de la cave, une première image m’a horrifiée : dans la grange que nous traversions s’entassait une montagne de cadavres. Puis l’horreur s’étalait à mes yeux. Des ruines partout, de l’église il ne restait que les murs calcinés. Nous passions devant l’école tout éventrée. Cette traversée d’une partie du village m’a laissé une vision d’apocalypse.

Ma sœur et mon frère avaient les bras chargés de vêtements. Maman avait les mains prises par des baluchons que j’agrippais et mes petits pieds essayaient de suivre le rythme car il fallait faire vite pour rejoindre le fort de la ligne Maginot en enjambant les poutres calcinées et les gravats.

 PAS DE BRAS POUR M’ENLACER ET ME CONSOLER.

PAS DE MAIN A SERRER POUR ME RASSURER

 De ce fort, un camion nous avait conduits dans un village éloigné de cette bataille et nous avions passé une nouvelle nuit dans une cave où nous avions retrouvé grand père.

Le lendemain nous étions dirigés vers un autre village à pied. Il faisait froid, très froid et une grosse couche de neige recouvrait tout. Heureusement que grand père avait amené une petite charrette où j’ai pu me hisser.

Pendant le trajet une alerte aérienne nous a tous jeté dans le fossé ou plutôt la neige et je vois encore grand père me couvrir de tout son corps.

Puis l’arrivée dans une grande ferme où nous sommes restés des semaines et des semaines. Impossible de retourner dans mon village rapidement : les abords étaient minés, les rues jonchées de gravats.

Mon dernier souvenir la recherche des œufs de Pâques dans la famille qui nous avait accueillis.

 Puis un grand trou noir, plus aucun souvenir du retour dans mon village dévasté à 85 %.  Cette guerre avait aussi fait 83 victimes civiles.

 Je pense à tous ces enfants qui ont vécu le même traumatisme dans le reste de la France lors de la libération et qu’aucune cellule psychologique n ‘a aidé à surmonter.

 Comment ces horreurs peuvent-elles à nouveau se produire ?

                                                                                                                                            Suzy Favrot – 82 ans

                                                                                                                                             A l’époque âgée de 5 ans

 

Aller au contenu principal