Article de Geneviève Dermech paru en Bodard dans l’hebdomadaire “Nord France” du 1er janvier 1949.

En Indochine avec l’une des 6 femmes ambulancières de brousse :
Gilberte Urbain

Lorsque nous arrivons rue Thiers à Anzin, une rue très noire, c’est Gilberte elle-même qui nous ouvre la porte. Son visage olivâtre en forme d’amande, éclairé d’immenses yeux noirs, bridés, nous semble étrange. Mais Gilberte nous rassure vite. Son physique asiatique est pure coïncidence : elle est née rue Berthelot

         Après avoir suivi des cours d’aviation à Valenciennes, elle s’engage d’abord dans le service social de l’armée en Allemagne, puis apprenant que Leclerc débarque en Indochine, elle demande à y aller.

– Qu’avez-vous fait pour cela ?
– J’ai fait un acte de volontariat. J’ai fourni un permis de conduire les poids lourds, un diplôme de soins de première urgence, et les enquêtes sur ma moralité et ma santé s’étant révélées excellentes, j’ai pu partir très vite.
– Et quand avez-vous fait votre premier coup de feu ?
– Au Cambodge. J’étais encore secrétaire d’état-major. On m’avait hospitalisée à Siem-Reap, près du temple d’Angkor. Les prêtres du temple étaient venus nous donner une séance d’ombres chinoises. A la faveur de l’ombre, un commando de Vietnamiens s’était approché de l’hôtel ; ils attaquèrent à la grenade et tentèrent d’entrer par les fenêtres, poignard au poing. Il fallut armer les malades, les enfants mêmes…   C’est là que je dus tirer mon premier coup de feu de mitraillette. Ce fut un massacre épouvantable, mais le prince rebelle Chang Rasey, nous crut plus forts que ne l’étions et il abandonna la lutte avant même que le renfort nous parvint…

         C’est grâce au lieutenant de Cassagnac, le cousin de Saint-Granier… (le Saint-Granier de Ploum ploum tralala…) que les malades n’ont pas été massacrés.
*Saint-Granier, de son vrai nom Jean de Granier de Cassagnac lança en 1945 les radio-crochets avec l’émission “On chante dans mon quartier” dont l’indicatif était Ploum Ploum Tralala, chanson de Francis Blanche.

Souvenirs d’Indochine

L’ambulancière connaît tous les secrets de la mécanique et répare seule les camions dans la brousse. Elle sait tirer de la mitrailleuse, aussi bien que les légionnaires que l’on voit ici l’entourant sur les marches du temple d’Angkor.
– car les atrocités des Vietnamiens sont bien réelles ?
– dans le Sud, seulement, ils mutilent leurs prisonniers… leur enlèvent la langue ou les yeux… Une infirmière, mademoiselle Breakfasts tombée dans leurs mains, fut brûlée vive.
– Et après Siem-Reap, vous vous fait infirmière ?
– Les soldats sont jeunes, ils ont besoin de femmes près d’eux qui soient fraternelles et les soignent. Nous les accompagnons à toutes les attaques – deux femmes avec une cinquantaine de soldats.
         Nous vivons leurs vies, mangeons des conserves en campagne, du riz et du poisson sec dans les villages où nous sommes reçus comme des libérateurs.
20% de la population est catholique.
80% dévoré par le paludisme : deux raisons pour qu’ils ont besoin de nous.

Gilberte Urbain la petite Afat

Gilberte Urbain, la petite Afat (Corps des auxiliaires féminines de l’armée de terre), la “môme mitraillette” comme on l’a surnommée, a grade de lieutenant. Citée plusieurs fois, elle fut décorée sur le front d’Indochine de la croix de guerre 1939-45 avec étoile de bronze et de la croix de guerre avec palme et étoile.

         Elle répond quand on l’a félicitée :
« Je connais une fille tout à fait extraordinaire, c’est mon chef : Aline Lerouge, chef des neuf ambulances du Tonkin, blessée au poumon, dévorée de paludisme, ancienne chef de cellule rouge convertie au catholicisme, c’est elle une héroïne authentique.

         La France ne sait pas combien elle lui doit !
Aline Lerouge, ambulancière, volontaire dès 1945 pour un premier séjour, elle y est blessée. Au cours d’un second séjour, elle gagne une nouvelle citation et, en novembre 1948, la Légion d’Honneur. Rapatriée sanitaire, cela ne l’empêche pas de repartir pour un troisième séjour ; elle coule au volant de son ambulance en traversant un arroyo, le 24 novembre 1950 ».

La guerre se solde par le saccage des rizières, la ruine de l’Indochine

– Une question, peut-être vaine :
– Vous croyez qu’il y a encore pour longtemps ?
– Ce que nous faisons ne sert à rien si l’on ne nous envoie pas bientôt 200.000 hommes. Pour l’instant, la guerre se solde par le saccage des rizières, la ruine de l’Indochine.
– Vous y retournez ?
– Bien sûr. Les moustiques… la fièvre… les légionnaires… et les parachutistes me manquent… On n’a pas besoin de moi…

         Je la regardais, si simple, si nette, mal à l’aise parmi les coussins et les bibelots du petit salon anzinois. Je songeais que le 28 février 1948, dans une embuscade, les Viet Minh avaient traîné cette jolie fille par les cheveux, puis l’avaient abandonnée, la croyant morte : elle était couverte de sang de sa co-équipière, Suzanne Poirier, tuée d’une balle à la tête. Dès que les Veit Minh se furent éloignés, elle se mit à soigner les moribonds.
         Gilberte a raison : sa place n’est pas parmi nous, si simple, si pure, et on a encore besoin d’elle.
Geneviève Dermech

Les trophées de Gilberte

Gilberte a tiré de sa valise deux trophées :
son vieux chapeau de campagne et un drapeau rouge portant l’étoile jaune du Viet Minh dont la prise coûta bien des sacrifices.

L’embuscade

L’embuscade : Attente déprimante derrière le barrage des ambulances.
Au cœur d’une brousse inextricable peuplée de singes… et où les balles fusent d’on ne sait où.
Partis dix, on revient zéro.
Partis cinquante on rentre dix.

Antennes Chirurgicales Avancées

Une demi-heure après avoir reçu sa blessure, éclats de mortier à la tête et fracture du tibia, un fantassin vietnamien arrive à l’Antenne Chirurgicale Avancée. Le médecin de son bataillon lui a confectionné une attelle sommaire en bambou. Ce sont les brancardiers du bataillon, en opération à moins d’un kilomètre de l’Antenne, qui l’ont apporté, le long des diguettes : il a perdu beaucoup de sang. L’infirmière prend sa tension artérielle. Elle lui fera sans tarder une transfusion.
         Puis il sera déshabillé complétement, lavé de pied en cap ; le pansement sommaire ayant été enlevé, il passera sur la table d’opération où il recevra une piqûre pour “remonter” le cœur et nouvelle injection de plasma. Une demi-heure environ se passera entre son arrivée à l’Antenne et l’intervention chirurgicale.
         Dans six ou douze heures, quand il ne sera plus “choqué” c’est mademoiselle Rosset (à droite), croix de guerre, qui l’évacuera en ambulance. Mademoiselle Rosset dite “Minouche” en est à son troisième séjour en Extrême-Orient. “Il faut être tout de même un peu toquée pour venir en Indochine quand on est jeune fille” convient-elle. Mais sa solde file en cadeaux pour les nécessités et les blessés

L’Hôpital Rocques à Go-Vap

L’Hôpital Roques est situé à Go-Vap dans la banlieue nord de Saïgon (près de l’aéroport de Tan Son Nhut).
         Sur les photos figurent mademoiselle Lagrifouc infirmière-ambulancière venant de recevoir son véhicule Peugeot 203 ambulance.

         Durant le conflit indochinois, l’Hôpital Grall situé à Saïgon est l’hôpital de référence dans l’Indochine Française. Il fut suppléé par plusieurs autres grandes formations hospitalières installées dans la périphérie de l’agglomération Saïgon-Cholon (415, Coste, Nouaille-Degorce, etc..).
         L’Hôpital Roques, a été ouvert en octobre 1952, dans la banlieue nord de Saïgon. Il répondait à cet objectif de suppléance en raison des besoins sanitaires croissants que réclamaient les circonstances de la guerre. Il faut ajouter que cette notion de suppléance intéressait de plus en plus le corps médical du Service de Santé des Troupes métropolitaines, désigné à servir en Indochine.
         Les hôpitaux coloniaux se sont tout de suite révélés comme le support technique lourd absolument indispensable pour conduire à bien une politique sanitaire digne de ce nom. C’est là que la ” puissance coloniale” a obtenu le plus beau fleuron de son action.

 

        Source : magasine haut de page, repris par internet.

                                                                                               Serge Clay

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