Berty Albrecht, alias Victoire : militante féministe, héroïne de la Résistance

Figure de la lutte pour la condition des femmes, Berty Albrecht s’engage tôt dans la défense des droits de la femme avant de jouer un rôle déterminant à la direction du mouvement Combat pendant la Seconde Guerre mondiale.

Elle compte parmi les six femmes compagnons de la Libération, soldates inconnues de la Résistance. Une distinction unique et exceptionnelle qu’elle a reçue à titre posthume.

Lire la suite…

Une enfance à Marseille

Berthe Pauline Mariette Wild, dite Berty Albrecht, est née à Marseille le 15 février 1893. Ses parents, d’origine suisse, vivent alors dans la rue Sainte. Ils donnent à la petite Berty une éducation bourgeoise et protestante. Le père, négociant en bois exotique, possède un bateau de pêche amarré au Vieux-Port. Son grand plaisir est d’emmener pêcher sa fille unique, le dimanche.

L’enfance heureuse de Berty a pour cadre ce quartier pittoresque d’où elle suit sûrement avec intérêt la construction du pont transbordeur, reliant les deux rives du Vieux-Port et dont les travaux s’achèveront en décembre 1905. Une période faste pour Marseille qui, en ce début de XXe siècle, affirme sa modernité par son ouverture sur le monde et le développement du tramway, l’électrification, les débuts de l’automobile…
En 1906, Marseille accueille l’exposition coloniale à l’emplacement actuel du Parc Chanot. Berty s’y rend accompagnée de son père. Du haut de ses 8 ans, elle visite les quelque cinquante pavillons voués à sensibiliser les Français à la politique d’expansion coloniale et magnifier le rôle de Marseille face à la concurrence grandissante des autres ports européens. Que retiendra-t-elle de cet outil de propagande qui contribue à façonner un imaginaire colonial dans l’esprit du grand public ?

Berty s’engage dès la Grande Guerre

Après des études classiques au lycée de jeunes filles Montgrand à Marseille, puis à Lausanne, elle réussit son diplôme d’infirmière en 1912 et part pour Londres comme surveillante dans une pension de jeunes filles.
Avec 1914 arrive la Grande Guerre. Si beaucoup d’hommes partent au front, Marseille reste loin des champs de bataille mais devient un port de transit pour les troupes venues des divers continents. 4 millions d’hommes y passent : coloniaux algériens, marocains, tunisiens, de l’Afrique subsaharienne, Indochinois, mais aussi soldats débarquant des Indes, d’Australie, de Russie ou en partance pour le front de Salonique et les Dardanelles. Ils sont rejoints par les travailleurs issus des colonies, venus pallier l’insuffisance de main d’œuvre dans les usines et sur les chantiers.
Berty revient à Marseille exercer son métier d’infirmière et renforcer les rangs de la Croix-Rouge dans les hôpitaux militaires.

Elle milite pour améliorer la condition des femmes

À la fin de la guerre, la jeune femme épouse un banquier hollandais, Frédéric Albrecht, et vit en Hollande, puis à Londres en 1924, où elle commence à s’intéresser à la condition féminine.
De retour à Paris, en 1931, elle devient membre de la Ligue des droits de l’homme, et crée, en 1933, une revue, le Problème sexuel, dans laquelle elle défend notamment le droit des femmes à l’avortement libre.
Plus tard, elle s’occupera des réfugiés allemands fuyant le nazisme qu’elle tente d’aider en les logeant et leur trouvant un travail. C’est à cette époque qu’elle prend pleinement conscience du danger du national-socialisme.
Dans cette période, les Allemands antifascistes sont nombreux à venir se réfugier en Provence et sur la Côte d’Azur. À Marseille, ils sont rejoints par les Espagnols républicains exilés en France ainsi que par les opposants à Mussolini.
L’année 1936 représente un nouveau virage dans son parcours de féministe engagée. Militante au sein de plusieurs associations, elle œuvre à l’amélioration de la condition ouvrière des femmes en devenant surintendante pour aider les femmes “travailleuses”. En 1938, elle est affectée aux usines Barbier-Bernard et Turenne, fabrique d’instruments d’optique pour la Marine.

Son combat contre le fascisme

Mais l’horizon s’assombrit à nouveau avec le déclenchement de la guerre de 39-45. Berty est surintendante de l’usine Fulmen, fabricant de batteries à Clichy. C’est alors qu’elle entend, le 17 juin 1940, le discours du maréchal Pétain appelant à cesser les hostilités à la suite de la bataille de France.
Outrée par ses propos, elle décide d’entrer dans la lutte. Elle envoie sa fille Mireille vivre à Marseille, désormais ville-refuge, qui restera le dernier grand port encore en zone libre jusqu’au 11 novembre 1942.
Dès l’été 1940, Berty va plus loin dans son engagement contre le fascisme et organise la défense passive. Alors qu’elle occupe son emploi de surintendante de l’usine Fulmen à Vierzon, elle fait passer la ligne de démarcation à des prisonniers évadés.

Courant novembre, elle reçoit une lettre du capitaine Henri Frenay, dont elle avait fait la connaissance en 1935, qui lui demande de rejoindre le Mouvement de Libération nationale – organisation clandestine destinée à poursuivre la guerre contre l’Allemagne. Elle accepte et crée avec lui ce qui deviendra bientôt Combat, le principal mouvement de résistance non communiste. Berty met en place un réseau social pour venir en aide aux résistants du mouvement Combat et à leur famille en cas d’arrestation.
C’est alors qu’elle devient la compagne d’Henri Frenay et prend le pseudonyme de Victoire.
Début 1941, elle commence à dactylographier les premiers bulletins de propagande, recrute les premiers adhérents et collecte les premiers fonds pour le mouvement.

Arrêtée par la Gestapo à son domicile fin avril 1942, la résistante est internée administrativement et arbitrairement à Vals-les-Bains en mai. Elle exige d’être jugée. Devant le refus des autorités, elle fait une grève de la faim pendant 13 jours avec quelques-uns de ses codétenus parmi lesquels Emmanuel Mounier, fondateur de la revue Esprit.
Elle obtient alors d’être transférée à la prison Saint-Joseph à Lyon où elle est jugée et condamnée à six mois de prison ferme pour “Atteinte à la sûreté de l’État” et “Préparation d’une révolution visant à dénoncer l’Armistice et reprendre les armes”.
Simulant la folie, Berty est transférée le 27 novembre à l’asile d’aliénés du Vinatier, à Bron. Elle s’en évadera en décembre 1942 grâce à la complicité de ses camarades du commando des Groupes Francs de Combat, mené par André Bollier. Elle trouvera refuge une dernière fois à Marseille, rue Florac, dans le quartier du Prado, en décembre 1942.

Malheureusement, Berty Albrecht n’assistera pas à la Libération de Marseille, ville à laquelle elle était tant attachée. Dénoncée, en mai 1943, alors qu’elle poursuit ses activités clandestines à Cluny où elle est retournée aux côtés d’Henri Frenay, elle est arrêtée à Mâcon le 28 mai par la Gestapo. Torturée, envoyée à la prison de Montluc à Lyon puis à Fresnes, elle se donnera la mort par pendaison dans la nuit du 31 mai 1943.

“Mourir n’est pas grave. Le tout, c’est de vivre conformément à l’honneur et à l’idéal que l’on se fait”.

La reconnaissance nationale à titre posthume

À la fin de la guerre, Berty Albrecht, alias Victoire, sera la seule femme, avec la résistante Renée Lévy, à avoir été inhumée dans la crypte du Mémorial de la France, combattante au mont Valérien, haut lieu de la mémoire nationale.
Elle compte parmi les six femmes compagnons de la Libération, soldates inconnues de la Résistance. Une distinction unique et exceptionnelle qu’elle reçoit à titre posthume pour son engagement précoce, son action exemplaire et son immense courage ayant contribué à préserver “la France et son empire” des griffes de l’ennemi nazi.
En mémoire à cette grande figure de la Résistance, un square, situé dans le 7e arrondissement de Marseille, porte le nom de Berty Albrecht.

Le musée de l’Ordre de la Libération aux Invalides à Paris a évoqué longuement lors de l’exposition “1940 ! Paroles de rebelles”, cette figure de notre Histoire.

À l’occasion de la publication de cet article, marseille.fr rend également hommage à Reine Chouraqui : une autre héroïne de la Résistance, disparue le 7 février 2021, à l’âge de 96 ans. Elle a grandi et vécu dans le quartier Saint-Pierre, à Marseille (5e).

­­Berty Albrecht au musée d’Histoire de Marseille
Le musée d’Histoire de Marseille présente dans son parcours permanent un espace thématique consacré à Berty Albrecht.

Une collection d’objets lui ayant appartenu et provenant du don fait au musée par sa fille Mireille Albrecht, est exposée : son bureau, des vêtements, une collection de photographies et quelques documents concernant son engagement féministe, notamment les courriers écrits durant sa captivité en 1942 et un exemplaire de son ouvrage Le problème sexuel, évoquent le parcours de vie de cette figure importante de la Résistance à Marseille.

Aller au contenu principal