Résistant FTP mentonnais, engagé volontaire à 17 ans au sein du 3ème Régiment d’Infanterie Alpine (3ème RIA), combattant lors de la bataille de l’Authion
Témoignage rédigé par Néo VERRIEST, des suites de son entretien avec Monsieur Jean BODINO, le 9 mars 2021, en présence de son épouse Rosette et de Madame Mireille JOURDAN, présidente du CNRD des Alpes-Maritimes

« Si les évènements que nous avons vécus recommençaient, est-ce que la jeunesse d’aujourd’hui réagirait ?Un pays qui ne connaît pas son passé est destiné à le revivre. Les jeunes français perdent malheureusement le patriotisme dans lequel nous avions baigné, hérité du vécu de nos parents pendant la « Grande Guerre ». Le respect du drapeau, la Marseillaise, tant de symboles dont ont besoin nos jeunes générations. »

Voici ce que Jean confiait à la fin de son entretien avec notre Ami NEO !

La guerre a jalonné l’enfance et la jeunesse de ce jeune résistant .Il s’est éteint en cet automne 2021.

Nul ne peut répondre à la question de Jean, mais pour que notre jeunesse sache, il faut témoigner inlassablement, il faut que les manuels d’histoire transcrivent ces actes héroïques, il faut porter la voix de ceux qui comme Jean , comme nos Parents, n’ont pas hésité devant l’adversaire.

Sauvegardons notre liberté, n’oublions jamais que nous sommes tous unis dans la fraternité, et il faut que notre Nation applique la constitution en toute ÉGALITÉ !

Mes parents, fermiers, vivent de leur exploitation laitière à Menton. Enfants, nous portons aux domiciles des clients les bidons de lait, pour aider nos parents. Mon père avait fait la « Grande Guerre », il en est revenu très marqué. Alors que je me trouve à l’école, une grande annonce nous est faite : la guerre est déclarée. Le 25ème BCA étant stationné à Menton, nous sommes entourés de chasseurs alpins, de soldats, ce qui frappe les enfants que nous sommes. Mobilisations, masques à gaz et premières restrictions : la « drôle de guerre » se termine par l’internement de trois beaux- frères, tous trois prisonniers de guerre. Néanmoins, mon frère aîné, resté dans l’Armée des Alpes, n’est pas fait prisonnier. Comme tous les Mentonnais, nous partons sur les routes de l’exode. Équipés d’un baluchon chacun, de moins de trente kilogrammes, nous partons en car vers les Pyrénées, dans une petite commune près de Bourg-Madame, à la frontière franco-espagnole. Rien n’étant organisé pour le bétail, mon père reste au village, tous les voisins lui confient leurs volailles, leurs lapins ! Il réussit à nous rejoindre quelque temps après.

En septembre, annonce est faite aux propriétaires de Menton : nous pouvons rentrer chez nous ! Arrivés à la gare, ma mère va échanger son argent en lires italiennes, le Franc n’étant plus valable. Pour cent francs, elle récupère trente lires, pour la première fois de ma vie, je vois ma mère pleurer. La maison est détruite de fond en comble : sur la porte de la maison, se trouve une bonbonne de vin, les matelas sont déchirés, les meubles sont saccagés. Mes malheureux parents ne sont pas riches, ils réussissent tant bien que mal à récupérer ce qui est récupérable. Par ailleurs, le gouvernement réquisitionne le bétail : pour une vache, mille francs sont concédés, une fortune en cette période ! Menton est annexé de fait par l’occupant, l’italien devient langue officielle, la signalisation des rues est en italien, l’enseignement nous est donné en italien, de nouvelles cartes d’identité sont données aux Mentonnais. Ma mère en avait fait l’expérience, la lire italienne est devenue monnaie officielle. Même les prêtres ne font plus la messe en latin, de peur d’être inquiétés par l’occupant ! Anciennement élève à La Condamine, je ne suis pas particulièrement enclin à obtempérer. Un beau jour, les Carabiniers tambourinent à la porte demandant à mes parents de me faire aller à l’école italienne, ce qui ne leur plaît pas non plus. Nous demandons à obtenir un « laissez- passer » pour s’installer en France, à Nice. Mes parents l’obtiennent, mais je dois rester avec mon frère, déjà père de famille, dans l’attente de son quatrième enfant !

ravaillant chez Urago, il me fait embaucher rapidement, sans grande difficulté, puisque l’entreprise niçoise cherche des jeunes pour remplacer les chambres à air et pneus. De temps à autre, le charmant patron nous appelle pour nous donner une tranche de pain ! Quand ma belle- sœur accouche, je pars chez une autre sœur, toujours à Nice.

Ma sœur possède une mercerie, avenue Giacobi, elle trouve une combine pour m’expédier ailleurs. Une fois le bon de la préfecture obtenu, je pars donc effectuer une « mission de restauration paysanne » à Sainte-Colombe-en- Bruilhois, dans le Lot-et-Garonne. Mes patrons, un peu plus âgés, se montrent appréciables avec moi. Un soir j’apprends que des cochons que nous venions de tuer s’apprêtent à partir pour « des résistants, dans la Forêt Noire » ! Je n’en ai jamais su plus ! Je reste dans le Lot-et-Garonne jusque fin 1943, puis retour à Menton redevenu français par la débandade italienne. Les soldats italiens abandonnent tout sur leur passage, suppliant les Mentonnais de leur donner des habits civils pour ne pas être inquiétés par l’ennemi. Profitant du départ précipité des soldats italiens, mon frère et moi, accompagnés de quelques copains partons récupérer les armes que nous cachons au Val des Castagnins. Dans ces collines où les paysans locaux avaient creusé des rigoles pour l’évacuation des eaux, nous profitions des « Barmas » pour cacher nos armes. Mon frère est cycliste, régulièrement sur les routes de la région. Entre deux trains, un chauffeur vient lui tenir la discussion, pour parler sport. La fatalité veut qu’ils viennent à parler politique… et que ce Monsieur Castello soit commandant des FTP ! C’est ainsi que mon frère et moi intégrons les Francs-Tireurs et Partisans, dits

« FTP », je n’ai alors que seize ans.

Nous avons droit aux leçons magistrales de la part de nos supérieurs, il ne faut absolument pas montrer nos armes, absolument pas en parler aux copains !Au-dessous de ma maison, se trouve le terrain Saïssi, où sont fabriqués et stockés les jarres en terre cuite pour l’huile. Puisque les installations s’y prêtent, les troupes de passage, qu’elles soient italiennes ou allemandes, y sont installées. C’est ainsi que nous organisons nos premiers sabotages de fils téléphoniques ! La nuit, je sors par la fenêtre pour rejoindre le groupe, mes parents ne disent rien pensant que je pars rejoindre une fille. Je réalise également quelques liaisons, à un gars appelé « sergent », je lui transmets quelques renseignements sur des mouvements de véhicules et autres évènements particuliers. Menton est un lieu de transfert de troupes, les troupes allemandes ne restent jamais longtemps dans la ville, un détachement y passe en général deux nuits tout au plus. Je ne côtoie que très peu mes camarades FTP, la « Résistance » est très fragmentée. Cinq ou six personnes seulement connaissent le « chef » Castelet.

En août 1944, nous apprenons « l’évènement » de Sospel : une quinzaine de maquisards, majoritairement italiens, sont fusillés par l’occupant dans des conditions épouvantables. Un traumatisme pour la « Résistance » locale, aux dernières heures de l’occupation. La libération de Menton se déroule simplement : après une fusillade à la fin du mois d’août, les troupes allemandes quittent la ville le 6 septembre. Deux jours après, les parachutistes américains et canadiens arrivent à Menton, acclamés par la foule. Je viens à peine de recevoir un document officiel, signé de la main de Charles Tillon, attestant de mon appartenance aux Francs-Tireurs et Partisans, je m’apprête à fêter mon dix-septième anniversaire.

Nous formons le 3ème Régiment d’Infanterie Alpine (3ème RIA) pour poursuivre la guerre auprès de nos Alliés. Nous partons prendre position dans les Alpes, pleines de fortifications allemandes, à la frontière. Nous montons en ligne à plusieurs reprises. Deux compagnies muletières dédiées à l’attaque voient le jour. Nous passons tout l’hiver 1944 à Saint-Etienne-de-Tinée mal armés, mal équipés. En l’espace de deux jours, plus de cent-quatre-vingt des nôtres tombent sous les balles allemandes, je suis muté à Sospel au Bataillon de Marche numéro quatre. Le 13 avril 1945, nous subissons un violent bombardement, doublé d’un mitraillage, chose assez rare.Deux jours après, je participe à l’attaque du col de Bosc, suite du col de Brusque. Nous restons allongés par terre pendant une heure, entre sept et huit heures, avant que le coup de sifflet retentisse. Une fois cette sanglante bataille terminée, nous partons en occupation à Vintimille, où nous apprenons que l’armée allemande vient de capituler.

Toute une jeunesse marquée par la violence, la mort, la guerre :quatre années de guerre, marquées par des hauts et des bas. Mon épouse Rosette, issue de la commune voisine de Sainte- Agnès, avait été perdue pendant l’exode, à l’âge de dix ans ! Également laitier j’avais connu son père dans la « Résistance », membre des FTP mentonnais. Si les évènements que nous avons vécus recommençaient, est-ce que la jeunesse d’aujourd’hui réagiraient ?Un pays qui ne connaît pas son passé est destiné à le revivre. Les jeunes français perdent malheureusement le patriotisme dans lequel nous avions baigné, hérité du vécu de nos parents pendant la « Grande Guerre ». Le respect du drapeau, la Marseillaise, tant de symboles dont ont besoin nos jeunes générations.

Membre actif des Combattants Volontaires de la Résistance et du Concours National de la Résistance et de la Déportation (CRD), j’ai longtemps témoigné auprès des plus jeunes, pour qu’ils n’oublient pas ».

Jean

Aller au contenu principal