« Nous n’avons pas le droit de gaspiller notre Liberté ».
Retenons ces paroles de Daniel, Pupille de la Nation, qui nous livre ce témoignage, sous la plume de NEO !                        
C’est l’histoire sobre d’une Famille de Patriotes qui force le respect et pour eux, pour nous, nous ne cesserons de témoigner et de dire nos souffrances d’enfants brisés par l’absence d’un Père !           

Daniel Laffon,

Pupille de la Nation, fils de René Roger, Résistant policier, torturé et fusillé à Bordeaux, Mort pour la France, petit-fils de Justin, fiché par l’occupant parce que « communiste », fusillé en tant qu’otage par la sinistre division das Reich, Mort pour la France

Témoignage rédigé des suites de ma rencontre avec Daniel Laffon le 27 juillet 2020

« Mon père, René Roger Laffon, est né le 8 janvier 1919 à Buzet-sur-Baïse, dans le département du Lot-et-Garonne. Après la tragique débâcle des armées françaises, il s’engage dans la Police Nationale, sans pour autant accepter l’implication grandissante de cette dernière dans la « collaboration d’état » voulue par le régime autoritaire de Vichy. Garde Mobile de Réserve, à Voiron puis à Grenoble, il fait la rencontre d’Éléonore Alberte Marie, née le 2 avril 1916 à la Murette. Orpheline à 8 ans, avec trois enfants plus jeunes qu’elle, Éléonore a dû serrer les coudes à cause de la santé fragile de leur père. S’est ainsi créé une grande complicité, ils se portaient mutuellement le petit-déjeuner au lit tour à tour, un bout de gâteau est toujours coupé en sept ! C’est dans cette union de deux personnes éprises de Liberté que je vois le jour, le 30 juillet 1943 à la Tronche, dans l’Isère.

L’occupation italienne de la région grenobloise se fera tranquille, notamment du fait qu’il y ait beaucoup d’Italiens dans la région. Un comportement qui ne plaira pas particulièrement aux autorités nazies allemandes ! Un an après la traversée de la ligne de démarcation, ce sont les troupes allemandes de la Wehrmacht qui feront leur entrée dans Grenoble. Les arrestations auxquelles est mêlée la police, arrestations pour des idées politiques, pour des convictions, notamment des communistes et des franc- maçons, arrestations de nos compatriotes juifs, mon père n’a jamais pu les accepter, de Limoges à Périgueux. Son père, mon grand-père Justin, né en 1886, avait fait la « Grande Guerre », déjà un demi- héros, il aide d’ores-et-déjà, malgré son âge, la « Résistance » dans le Sud-Ouest, en hébergeant des Résistants à la maison familiale quand, au même moment, ma tante porte des plis au maquis. Du moment que mon grand-père, survivant des tranchées sanglantes et boueuses lui affirme que la Maréchal Pétain n’est « plus dans le coup », c’est que Justin a forcément raison ! Mon père décide instantanément de rentrer à son tour en « Résistance », parmi les pionniers au sein de la police, en prenant de grandes précautions. J’ai su bien plus tard, grâce aux dires de mes oncles, que mon père avait caché des Juifs chez un beau-frère à la Tronche, ce beau-frère a accepté de partir en Allemagne, dans le cadre du STO, de peur qu’il y ait des représailles sur mon grand-père, ma mère, mais aussi pour protéger ces Juifs cachés à son domicile. Pourtant mon père était en mesure de lui permettre de gagner l’Oisans ou le Vercors, il en connaît les entrées.

Parti en déplacement dans le secteur de Limoges au mois d’avril 1944, mon père y apprend la mort de son propre père mon défunt grand-père, assassiné par la compagnie Das Reich, de sinistre mémoire.
Justin, encarté au Parti Communiste avant-guerre était déjà fiché sur liste noire par l’occupant et le régime de Vichy : il est arrêté dans le hameau des Gavaches à quelques centaines de mètres de chez lui. Il a réussi à retarder dans les champs les soldats le conduisant chez lui pour permettre à son camarade de s’évader. Pris en otage, il emporte quelques affaires, part pris en joug par des nazis de la division das Reich jusqu’à la place du village, où il rejoint cinq autres patriotes, ainsi que le curé. Les six patriotes sont emmenés, parmi lesquels mon grand-père, le beau-père et le gendre d’une famille amie. Ils seront fusillés en ce funeste 22 juin 1944, ils venaient de mourir pour la France, pour la Liberté du monde. Mon père décide de prendre congés de la police pour s’occuper de la ferme où résident ses deux sœurs ainsi que son jeune frère de 11 ans. Conjointement avec le travail de la terre, il se rapproche du maquis de Traille du Lot-et-Garonne. Il participe à la préparation d’une opération pour libérer un camp de prisonniers sénégalais, puisque les soldats coloniaux, considérés comme des « sous-hommes » par les nazis risquent d’être fusillés ou affamés. Ils sont, comme fréquemment à cette époque, vendus : le lieutenant avec lui est blessé à la cuisse pendant l’opération, il n’a pas voulu le quitter. Les camarades s’évadent avec nombre de Sénégalais, mon père refuse de quitter son lieutenant gravement atteint. Ils sont arrêtés, torturés sur place, dans le camp de prisonnier, puis transférés et internés à Bordeaux, où ils subiront les pires tortures imaginables, un acte plus qu’inhumain. Ils sont transférés dans un dépôt d’explosifs, suffisamment violent pour faire exploser la moitié du village en question, Saint-Symphorien en Gironde. Ce 23 août 1944, mon père, René Roger, est fusillé au milieu des pins, il avait 25 ans et toute une vie devant lui.

Auparavant, ma mère, sachant son beau-père fusillé et son mari de l’autre côté de la France, décide de le rejoindre. Parti un dimanche pour Lyon dans un camion, elle y achète une remorque, qu’elle attache derrière son vélo, une remorque pour m’installer. Nous descendons la vallée du Rhône, sur la rive droite.

Lors du bombardement de Valence, elle se réfugie au Teil, avant de descendre à vélo à Nîmes, où nous prenons un train pour Toulouse. Elle rejoint Buzet-sur-Baïse à bicyclette, soit cent-trente kilomètres traversés, en me nourrissant au sein. En arrivant à la maison familiale, le Chanar, ma grand-mère vient à se rencontre en l’apostrophant : « Ma pauvre petite… », elle comprend instantanément qu’un malheur est advenu. Ma mère est veuve à 28 ans, si le dépôt de Saint-Symphorien avait explosé, nous n’aurions jamais retrouvé les corps des martyrs, ce sont les patriotes espagnols qui lanceront les recherches et nous permettront d’offrir une sépulture décente à nos pères, Morts pour la France. Je vais avoir mes treize mois, déjà orphelin de guerre.

Musée de la Résistance en ligne, 22 juin 1944 à Buzet-sur-Baïse

Ma grand-mère fait une grave dépression nerveuse : perdre en deux mois son mari, survivant de la « Grande Guerre », rescapé des gazages, rescapé de l’enfer de Verdun, et son fils. Ma mère m’en a un peu parlé étant jeune, lors qu’arriva l’heure de l’intérêt à cette petite enfance troublée, à cette période ma vie, elle ne voulait plus en parler, concluant toujours par : « J’en ai assez, c’est terminé ! ». Mon oncle, devenu prêtre, décide de travailler durement pour ne pas laisser ma mère sans le sou, sans la connaître vraiment, l’ayant rencontré pour le voyage de noce et ma naissance. Ma famille paternelle du Lot-et-Garonne est très gentille avec elle, mais ils ne la connaissent pas, elle s’installe comme couturière. Il lui propose de revenir avec ses frères et sœurs, il demandera à être curé de la paroisse de Saint-Martin-le-Vinoux. Mon père repose à Buzet-sur-Baïse dans le Lot-et-Garonne, ce « Héros » que mon oncle, prêtre, ne cessera d’invoquer, comme l’ensemble de ma famille : « Ton père n’aura jamais agi de la sorte… ton oncle non plus ! ». En effet, mon oncle décédera en 1953, j’ai 10 ans, un décès très lourd à porter. Dans ma famille, le respect des cérémonies mémorielles du 22 juin et du 23 août est devenu primordial. Jamais je ne dérogerai à ce devoir, d’autant plus qu’au sein des associations patriotiques voironnaises, je me suis engagé pour le devoir de mémoire. Ma mère, inquiète de la tournure des événements en France, a rejoint son mari soixante ans après sa mort. Les gendarmes mobiles de ma génération jouaient aux cartes, notamment au tarot, dans le bus, désormais, ils se fixent sur leurs téléphones, l’évolution est ce qu’elle est. Les nouvelles générations perdent l’esprit patriotique pourtant essentiel dans toute nation, je me suis investi au sein des associations patriotiques voironnaises, en particulier l’Union Nationale des Combattants (UNC). Mes petits-enfants se sont peu à peu intéressés à l’histoire de leurs aïeux, je n’ai aucun regret au regard du parcours de ma famille, de mon ascendance paternelle et maternelle, comme de ma descendance. Je suis fier d’eux.

Il ne faut pas oublier que nombre de policiers et de gendarmes ont intégré les rangs de l’armée des ombres, ou plus simplement ont reçu le titre de « Juste parmi les nations » pour avoir sauvé des compatriotes juifs. L’on a beaucoup évoqué les traîtres, mais trop peu le comportement héroïque de ces policiers, dont faisait partie mon défunt père. Il faut que la jeunesse se souvienne de leur histoire, pour qu’ils ne soient pas morts « pour rien », pour ne pas permettre à l’histoire de se répéter. Ma famille a su, aux heures sombres de l’histoire, faire preuve d’une conduite très digne, ils se sont comportés en bons Français, je ne peux qu’être fiers d’eux. Ce parcours guidé par l’humanisme, la dignité et la patriotisme, Justin et René l’ont payé de leur vie, pour que leurs descendant puissent vivre Libres, dans une France en République.

Nous n’avons pas le droit de gaspiller notre Liberté ». Daniel

            

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