Dimanche 2 octobre 1949, début d’une journée qui deviendra, le temps que le Maire et la Gendarmerie viennent remettre le télégramme que l’on se refuse à s’attendre, une journée noire pour ma mère, mon frère et ma sœur.

Pour ma part, je suis né, prématurément, 27 jours plus tard, sans souvenirs à me rappeler pour penser à mon Père. Mon attachement à lui passe uniquement au travers de documents (photos, états de services, décorations, lettres et documents officiels, témoignages de compagnons d’armes, …) Je n’ai jamais eu la chance d’être à ses côtés ou de recevoir une lettre comme mon frère et ma sœur.
A la cinquantaine, le démon m’a pris de retracer et de vivre à travers ses souvenirs et en reconstituant son parcours depuis son enfance.
Le résultat fût surprenant et je vous en livre quelques exemples.

Imaginez-vous recevant ce type de document et, à réception, en vérifier la conformité :
L’inventaire a été réalisé au PC de la 10ème compagnie basée à Quang-Tri, Centre Annam, Indochine Française (SP56445)

L’univers d’un militaire se résume vraiment à peu de choses …         

Mon père était le chef de poste Thi-ông, près de Cu Hoan et à l’est de Hai Lang (Dien Sanh)- carte Etat Major en vigueur en 1949.                                                                                                                                                                     

Mais en réalité que s’est-il passé ce 2 octobre 1949 ? En voici l’extrait du Journal de Marche du Régiment :

La cote archive du journal de marche du 3ème Bataillon de Marche du 2ème RTM est/ shat Cote 7U551

En réalité, mon père avait effectué le samedi soir de nuit, sans radio et surtout sans consentement de sa hiérarchie avec ses tirailleurs l’opération prévue le dimanche matin prévue avec l’aide des hommes des autres postes mais comment vous dire : « Mon père était un peu hors normes. »

Il est vrai de plus que c’était la veille de La fête de l’Aîd-el-Kebir marquant la fin du Ramadan et que ses hommes devaient être à bout.

Les contacts humains étaient rares, les ravitaillements se faisant par largages par avion.

Seuls les chiens « Grenade » et « Moustique » assuraient le lien entre les postes.

La Fête du Sacrifice s’est donc déroulée la veille…

En 2001, un ancien combattant m’a transmis ces photos de Quang-Tri en me disant qu’elles ne lui appartenaient pas…

Je pourrais vous en montrer beaucoup plus en Italie, en Maurienne, en Allemagne, après-guerre…
Il vous faut savoir que la solidarité est largement présente entre anciens combattants et pupilles de la Nation.

Le corps de mon père a été rapatrié en 1951 lors d’un des derniers rapatriements de corps ; les suivants ont été après 1954.

Le 8 mai 1953, à Aix-les-Bains, place Mollard, le Cdt Guitonneau, commandant de l’ancienne base aérienne 727 au Bourget-du-Lac, remettait à ma mère l’insigne de chevalier de la Légion d’honneur attribuée mon père à titre posthume.

Je vous cite la presse locale ouvertement contre « la sale guerre » :
Le Dauphiné Libéré : pas de prénom cité, “Héros tombé en Indochine après avoir participé à tous les combats d’Afrique, d’Italie, de France et d’Allemagne”
Le Progrès : erreur de prénom : Robert au lieu de Jean, Robert est le second prénom de mon père mais aussi celui de mon frère.

L’Echo-Liberté : erreur de prénom : Robert au lieu de Jean, pas de grade cité, simplement Monsieur comme un simple civil.

Ma mère m’emmenait régulièrement à toutes les cérémonies militaires particulièrement lorsque défilaient des Tirailleurs Marocains : lors de ces évènements, j’étais très mal dans ma peau et j’ai toujours considéré leur mascotte, un bélier au cornes dorées, comme un compagnon d’infortune.
Les années sont passées, ponctuées annuellement par les visites à l’assistance sociale de l’ONAC et les visites médicales de contrôle. Pas de bourses d’études, peut-être gagnait-elle trop, avec trois enfants à charge, avec son salaire de secrétaire et sa pension de veuve de guerre. Je crois plutôt qu’elle était trop fière pour demander quelque chose.

De mon côté, dispensé des obligations militaires (mon frère, lui par contre a fait son service militaire en France durant la guerre d’Algérie pendant 27 mois), j’ai fréquenté ces gens qui tombent dans l’oubli une fois qu’ils ont donné leur vie pour la Patrie, vous savez ces militaires…, en effectuant une préparation militaire parachutiste. Et oui ! à chacun son trip ! Ils étaient sympas ces anciens d’Algérie, en mai 68, avec leurs casquettes « Bigeard » interdites de port…

A une époque naïve de mon existence, j’avais souhaité par devoir de mémoire lui faire attribuer à titre posthume des décorations que mon père aurait eu le droit de porter de son vivant : croix de combattant volontaire et médaille commémorative des Services Volontaires dans la France Libres. Réponse de la Direction de La Mémoire, du Patrimoine et des Archives : « Ce devoir de mémoire est accompli par l’apposition de la mention « Mort pour la France » en marge de son acte de décès ». Fermez le ban, il n’y a rien à voir…

Un jour, une plaque en mémoire des soldats tués en “Indo” a été inaugurée au monument aux morts d’Aix-les-Bains, puis ce fût le Mémorial de Fréjus. Dans ces deux cas, aucun représentant de la République a pensé humblement que j’aurai pu être concerné. Invité le 8 juin dernier pour l’hommage dans la cour des Invalides, j’étais prêt à me déplacer mais la rancœur a été trop forte, j’ai préféré me rendre comme d’habitude à Lauzach pour la Journée nationale d’hommage aux morts de cette guerre en général, et de la bataille de Diên Biên Phu en particulier, journée reculée au 12 juin : Tiens,la province n’est vraiment pas Paris…

En revanche, Monsieur Jack Joly, à Lauzach, a cité comme à son habitude le poème de Michel Tauriac « Ni Fleur, Ni couronne… » :

A douze mille kilomètres de distance,
à douze mille kilomètres d’où tu danses,
à douze mille kilomètres d’ignorance,
à douze mille kilomètres de navrance, d’indifférence, d’insouciance et de silence,
à la minute même où personne même n’y pense,
un français meurt pour la France et la fête continue…

 

Jean-Alain Métral

FNAPOG 56

 

Téléchargez le témoignage au format pdf 

Aller au contenu principal