8 septembre 2020
Discours de Mme Anne VIGNOT
Maire de Besançon
Je souhaite, avant d’ouvrir cette cérémonie du souvenir et de la commémoration du 8 septembre saluer avec émotion la mémoire de deux de nos militaires de la force française « Barkane » au Sahel, tués, la semaine dernière, lors d’une opération dans la région de Tessalit.
45 de nos compatriotes qui combattaient, au Mali, contre le terrorisme, ont perdu la vie depuis 2013.
Rendons hommage, avec une minute de silence, à ces soldats morts pour la France.
Huit septembre 1944,
Cette place en porte le nom et nous rappelle, au cœur de la ville, le souvenir de ces heures qui venaient de se partager entre joies et chagrins.
Depuis quatre jours, les troupes alliées, les unités américaines, les Forces Françaises de l’Intérieur n’avaient cessé de combattre, de Larnod à Avanne, de Chateaufarine à Saint-Claude et Chaudanne, de Palente au Point du Jour, jusque dans la Boucle comme aux abords de la Citadelle.
L’histoire de ces jours est connue de chacune et de chacun d’entre nous. Comme les noms de celles et de ceux qui paient alors de leurs vies le prix de nos libertés enfin retrouvées.
En ce jour anniversaire de la libération de Besançon, j’ai souhaité que des femmes soient à l’honneur, dont les visages nous entourent.
Quelques-unes parmi tant d’autres, et qui témoignent de la multitude de toutes celles à qui on devait, à qui on doit tant, depuis ce huit septembre 1944 ; et que l’Histoire avait, trop longtemps, comme depuis toujours, réduit au silence des récits.
Besançon peut s’honorer, aujourd’hui, que la mémoire de ces héroïnes – et non pas victimes – de la Résistance et de la Déportation continue d’y être vivante et nous serve d’exemple, jusque dans les difficultés actuelles auxquelles la Nation se trouve confrontée.
À ce titre, notre musée de la Citadelle n’est pas que le récit de ces heures tragiques vécues par notre pays voilà 76 ans.
Il est aussi et surtout celui de toutes celles et de tous ceux qui ont pris part à ces valeureux combats contre la barbarie.
Il est celui de l’humanisme contre l’obscurantisme. Il doit être aussi celui de la liberté d’esprit contre l’obstination des idées reçues.
Des idées reçues qui voulaient, par exemple, que « combattant » et « résistant » ne soient, presque toujours, que masculins, mais qui laissaient entendre, sans trop de difficultés, que « déporté.e » adopte, presque à part égale, les deux genres.
Des idées reçues encore qui ont souvent considéré que la Résistance était une « affaire d’hommes » relayant ainsi l’image caricaturale de la mère-épouse-ménagère dont tant se sont satisfaits.
Il faut se souvenir que, dans l’absence des pères, des maris, comme à chaque confit, les femmes de ce pays, chargées de familles et d’enfants souvent très jeunes, se trouvent alors confrontées à des difficultés quotidiennes qui nous sembleraient aujourd’hui insurmontables ; et que le rationnement, l’arbitraire, la misère noire de ce pays vaincu et humilié rendaient de plus en plus insupportables.
Cinq années durant, elles y imposeront, par leur courage, leur détermination et, pour beaucoup, leur engagement, cet esprit d’émancipation si souvent brimé ; et pour lequel, depuis, elles n’auront cessé de se battre.
L’Histoire, peu à peu, se réécrit qui leur donne tout ce qui leur avait été si longtemps refusé. Leur place dans la Résistance n’est en rien subalterne et beaucoup, dont les portraits nous entourent ici, en paieront le dramatique tribu dans les affres de la Déportation la plus cruelle.
Ces histoires-là, ces vies là en disent tant sur la grandeur de l’humanité quand elle se trouve confrontée à la barbarie des hommes.
Il faudra – légitime et encore bien modeste témoignage de reconnaissance – l’ordonnance du 21 avril 1944 pour que la Nation accorde enfin ce droit de vote, systématiquement rejeté durant l’entre-deux guerres, à celles qui composaient la moitié de sa population. L’urgence dans laquelle elle fut prise en dit long sur l’importance du pas franchi dans la conscience collective d’alors.
« Ne pas témoigner serait trahir » avait écrit Denise Lorach, déportée à Bergen-Belsen avec son fils de cinq ans parce qu’elle était juive.
À son retour, elle ne pèse plus que 34 kilos et Jean-Serge ne sait plus marcher.
Elle sera, à l’égal de ces grandes voix où brillent les noms de Simone Veil (aux attaches comtoises) de Germain Tillion, d’Anise Postel-Vinay, de Marie-Claude Vaillant-Couturier ou de Jeanette l’Herminier, l’une de celles qui vont marquer de l’empreinte de leurs riches et passionnantes personnalités une de ces pages majeures où l’Histoire se réécrit enfin, et réhabilite pour toujours.
Ouvrir un musée de la Résistance et de la Déportation sera la grande affaire de la vie de Denise Lorach. Jusqu’à la fin, elle y travaillera pour écrire, tout particulièrement, l’histoire de ces femmes valeureuses et oubliées de beaucoup.
Des figures majeures s’y racontent, aujourd’hui, au travers des collections qui font de Besançon une référence internationale, avec les impressionnantes archives de toutes ces héroïnes du courage et de l’abnégation, toutes porteuses d’un des plus forts messages que l’Humanité pouvait adresser à chacune et à chacun d’entre nous.
Loin de toute caricature dont il faut se défendre, le constat d’indifférence à la différence n’est plus de mise, là où l’histoire ne peut plus se décliner qu’au seul masculin.
Les femmes qui nous entourent et toutes leurs sœurs de souffrance, de courage, d’abnégation, de modestie, de simplicité et de cœur donnent à celles d’aujourd’hui cette légitimité attendue depuis bien longtemps.
Notre temps, souvent si troublé, est là aussi pour que chacune et chacun en perçoive ici, le bien-fondé.
En ce 8 septembre 2020, jour anniversaire de la Libération de Besançon, nous fêtons l’énergie de l’espoir, la force de l’engagement et cette capacité à résister mais aussi à rebondir.
Le 8 septembre, une nouvelle vie s’épanouissait à Besançon.
Le 8 septembre fort de notre histoire, femmes et hommes, nous voulons continuer à protéger cet esprit de paix et de liberté, tout en faisant face aux nouveaux défis qui nous menacent – social, environnement, internationaux,… – qui n’entreverront pas notre volonté, notre détermination, notre combat pour un monde meilleur, humain et fraternel.
14 portraits de femmes
Par la voix des élues de la Ville de Besançon, je vous propose que soient évoqués, ici, quatorze portraits de femmes, quatorze vies engagées, parfois sacrifiées, toujours combattantes.
Denise Guillemin :
Dénoncée à 21 ans pour activités contre l’occupant, interrogée rudement alors qu’elle est enceinte de 9 mois, elle est libérée puis arrêtée de nouveau. Déportée, elle chante la Marseillaise à son arrivée Ravensbrück le 30 avril 1943. Elle sera libérée le 5 avril 1945 et retrouvera les siens.
Elisabeth Torlet :
Combattante de la première heure, sergente, volontaire pour des missions périlleuses, elle est parachutée dans le Doubs dans la nuit du 30 au 31 août 1943. Capturée, interrogée, elle est exécutée le 5 septembre 1944 d’une balle dans la tête.
Louise Blazer :
Personnalité de Montbéliard, elle se met au service de la Croix Rouge, s’occupe des prisonniers, des réfractaires, des maquisards et assure des liaisons avec la Résistance.
Déportée à Gaggenau près du Struthof, elle sera libérée en avril 1945 et va créer l’Association nationale des anciennes internées et déportées de la Résistance.
Marcelle Vivot :
« La Petite Hirondelle » comme l’appellent ses compagnons d’infortune, elle participe activement à la Résistance. Arrêtée en avril 1942, elle est déportée à Ravensbrück puis à Mauthausen. Elle est rapatriée en avril 1945. « Tant que je n’avais pas vu la Citadelle, j’étais incrédule. Et la voilà qui me saute aux yeux » dit-elle à son retour miraculeux.
Marguerite Marchand :
Visiteuse de prison, elle préside au sein de la Croix Rouge le service des internés politiques, parvient à transmettre des colis, des messages. Membre du Comité départemental de Libération, elle organise la mission qui porte son nom et traverse en deux fois l’Allemagne ravagée en mai 1945 pour rapatrier des dizaines de déportés comtois du camp de Dachau fermé par les Américains à cause du typhus. Elle sera conseillère municipale de 1947 à 1959.
Alice Magnin :
Résistante active en compagnie de son mari, elle est arrêtée le 6 octobre 1942. Mise au secret pendant six mois à Dijon, elle est déportée à Ravensbrück. Elle sera libérée par la Croix Rouge suédoise le 23 avril 1945 après deux ans de calvaire.
Colette Zingg :
Cette femme à la forte personnalité prend la tête des mouvements revendicatifs féminins qui poussent les travailleurs à protester contre les difficultés de la vie quotidienne. Condamnée pour délit à un an de prison, elle ne cessera d’accueillir des résistants, des partisans et poursuivra son engagement syndical et politique au sortir de la guerre.
Marcelle Baverez :
L’emblématique sœur de l’hôpital Saint-Jacques où elle dirige la pharmacie. Résistante, agent de liaison, elle est arrêtée le 10 août 1943, trahie par un mouchard. Brutalement interrogée à la Butte par la Gestapo, elle est déportée à Ravensbrück ou elle fait l’admiration de toutes par son courage et son dévouement. Elle y meurt le 1er novembre 1944. Geneviève Anthonioz De Gaulle en parle dans ses écrits.
Les sœurs Bergerot :
Cachent et hébergent tous ceux pour qui on organise, à deux pas de leur maison de Villevieux, des atterrissages d’avions anglais. Raymond et Lucie Aubrac et leur fils, Jean Moulin, Alias Max, Vincent Auriol, le futur président, le général Delestraint feront partie de celles et ceux à qui elles apporteront leur aide courageuse.
Germaine TILLION :
Résistante, elle occupe d’importantes fonctions dans l’organisation de la lutte contre l’occupant.
Déportée à Ravensbrück, elle est évacuée en 1945 par la Croix Rouge suédoise. Véritable historienne de la Déportation, elle laisse au musée de Besançon un fonds d’une richesse exceptionnelle, sujet d’une exposition en 2015. Elle entre au Panthéon le 27 mai 2015 en compagnie de Jean Zay, de Pierre Brossolette et de Geneviève Antonioz de Gaulle, sa camarade d’infortune à Ravensbrück. Germaine Tillion fut aussi une ethnologue réputée.
Anise Postel-Vinay :
Elle intègre à 19 ans un réseau de l’Intelligence Service. Arrêtée pour fait de résistance en 1942, elle est déportée avec Germain Tillion. « Femme sublime et sœur de souffrance et d’espérance » citée par le président de la République au Panthéon lors des obsèques nationales du 27 mai 2015, c’est grâce à elle que le fonds Germaine Tillion arrive à Besançon.
Denise Lorach :
Cette bisontine, par son engagement sans faille pour notre musée de la Résistance et de la Déportation, en est la personnalité incontournable. À son retour de déportation du camp de Bergen-Belsen où elle survivra pendant plus d’un an avec son fils âgé de 4 ans, elle n’aura de cesse de plaider en faveur de la création de ce musée. Sa devise « Ne pas témoigner serait trahir » deviendra celle du musée. Son musée pour lequel elle reçut l’appui de Jean-Minjoz et qui ouvra ses portes le 17 juillet 1971 va faire, aujourd’hui, l’objet de travaux de rénovation importants, poursuivant ainsi l’œuvre de celle qui fut sa grande conservatrice.
Camille Charvet :
Brillante universitaire, agrégée de physique, élève de Marie Curie, médecin, chef d’orchestre, cette femme avait tous les talents. Militante socialiste à la Ligue des Droits de l’Homme, elle entre dans le groupe Combat. Prise dans une rafle en février 1943, elle meurt à Auschwitz en janvier 1945 à l’âge de 64 ans.
Germaine Bessard :
Fille des propriétaires du café de Lyon, rue de Belfort, entre à 24 ans dans la Résistance en cachant des civils, des prisonniers de guerre en fuite, des juifs, des aviateurs britanniques pour les aider à passer la ligne de démarcation. Arrêtée en 1942 sur dénonciation, emprisonnée à la Butte, elle berne l’occupant qui la libère. Et elle reprend ses activités dans la filière d’évasion l’année suivante. La Gestapo l’oblige à se cacher à Lyon ou elle se réfugie et où elle restera jusqu’à la fin de la guerre. Sa fille Françoise qui vit aux Etats-Unis lui a consacré un livre.
Quatre jours d’intenses combats !!
Ils nous sont racontés par les voix tour à tour, fluettes, décidées, clamées fièrement par les élèves de l’école de l’Helvétie de Besançon , entourés de leurs enseignants!
Le 8 septembre 1944, Besançon était libérée de l’occupation allemande par les Américains et les Forces françaises de l’Intérieur après quatre jours de combats intenses.
Les combats autour et dans la ville ont duré quatre jours.
Retour sur ces quatre journées historiques :
Dès le 4 septembre, les troupes américaines arrivent à Quingey.
Le 5, la circulation est totalement interdite dans la ville. Conduits par les FFI – Forces Françaises de l’Intérieur, 17 000 soldats américains de la 3ème division d’infanterie US et du 6ème corps d’armée du général Patch arrivent par Larnod et franchissent le pont d’Avanne. Les allemands font sauter les ponts : la passerelle Denfert-Rochereau explose à 20h.
Le 6, le 7° régiment d’infanterie appuyé par plusieurs chars progresse du côté de Rosemont, des Tilleroyes, Saint Ferjeux. La Feldlommandantur installée à la cité administrative à Chamars est prise par les FFI qui devront l’abandonner lors d’une trêve pour se réfugier à la préfecture. Les allemands menacent de tirer des obus incendiaires sur la ville si les FFI ne se rendent pas !
Le maire Henri Bugnet réussit à sauver la ville et les FFI
Le 7, ce sera l’offensive décisive sous la pluie.
7 bataillons d’infanterie américaine et des tanks progressent vers le fort de Chaudanne qu’ils croient abandonné. 25 GI sont tués en quelques minutes par les Allemands qui ont renforcé leur garnison pendant la nuit.
Les FFI des maquis pénètrent dans la ville et s’emparent des bâtiments publics.
Les Américains attaquent ensuite la citadelle depuis le fort Chaudanne : ses fortifications sont endommagées par les obus américains tirant sur les résistants allemands.
En fin d’après-midi, Américains et FFI gravissent les pentes de la citadelle depuis la Chapelle des Buis. C’est la fin de l’Occupation, les Allemands se rendent.
Il y aura parmi les soldats allemands 250 morts et 2500 prisonniers.
80 américains ont été tués, 90 blessés. Les FFI ont perdu 40 hommes dont 28 à Besançon même. Les pertes civiles s’élèvent à 50 tués.
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Le 8 ce sera jour de liesse à Besançon : le maire Henri Bugnet est déposé et remplacé par Jean Minjoz, chef du mouvement Libération Sud
La ville est meurtrie, jonchée de ruines, et porte les stigmates des combats violents. Mais les soldats américains sont accueillis en héros par la population.
« J’étais dans Grande rue, sur le trottoir avec des amis, et nous avons vu arriver une horde d’Américains qui avaient les bras en l’air.
C’était l’euphorie, nous nous sommes jetées dans leurs bras, ils nous ont aussi donné des bonbons et des chewing-gum« .
« Ils arrivaient à pied depuis le quartier Battant, comme le pont avait sauté, et que le Doubs était très bas, ils sont passés comme ça en marchant sur les débris et c’est comme ça qu’ils sont arrivés dans la Grande rue. »
Accompagné des Généraux de Lattre de Tassigny et Juin, le Général de Gaulle se déplace à Besançon le 23 septembre pour célébrer la Libération de la ville. Il prononce un discours place Saint Pierre. Il est applaudi et acclamé par des milliers de Franc-Comtois place de la République, aujourd’hui appelée place du 8 septembre.
Chaque année, chaque 8 septembre, la ville se souvient, la ville est reconnaissante envers ses femmes et ses hommes combattantes et combattants de la libération.
Souvenons-nous. Espérons. Soyons toutes et tous les témoins de l’histoire pour construire un monde de paix et de liberté.
Vice-Présidente Nationale
FÉDÉRATION NATIONALE AUTONOME DES PUPILLES DE LA NATION ET ORPHELINS DE GUERRE
Solidarité – Mémoire – Fraternité
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