Monsieur le Défenseur des Droits
C’est de façon tout à fait imprévue, en prélude à la cérémonie organisée à Nancy le 5 février dernier au matin afin de perpétuer la Mémoire du Préfet Claude ERIGNAC, que Monsieur le Préfet de Meurthe et Moselle m’a présenté à vous.
Ce fut pour moi une opportunité très grande que celle de m’entretenir de vive voix avec celui à qui j’avais souvent écrit pour lui demander d’intervenir au profit des Orphelins-Pupilles de la Nation Morts pour la France suite aux décrets N°2000-657 13 juillet 2000 et N° 2004-751 du 27 juillet 2004, ces 2 décrets instituant une aide financière en reconnaissance des souffrances endurées par les Orphelins dont les parents ont été victimes d’actes de barbarie durant la seconde guerre mondiale.
Nous n’avons jamais contesté le fondement même de ces décrets mais nous les jugeons insuffisants et ne comprenons pas que, au pays des droits de l’homme, dont la devise figure à l’article 2 de la constitution (Liberté, EGALITE, Fraternité) une telle différenciation puisse exister car il ne peut être contesté que la notion sacrée de Mort pour la France ne peut être interprétée.
On est Mort pour la France ou on ne l’est pas et il est extrêmement choquant de triturer cette dignité et d’introduire une distinction entre nous.
En effet, suite au décret de 2004, il existe désormais 2 catégories de Mort pour la France ; ceux qui sont dignes de la Mère Patrie et ceux qui en sont indignes.
Si l’on admet cette distinction, pourquoi nos parents décrétés indignes par le gouvernement figurent-ils alors sur les Monuments aux Morts et sont-ils honorés comme tous les Morts pour la France par les plus Hautes Autorités Civiles et Militaires à l’occasion des différentes cérémonies patriotiques, principalement le 8 mai et le 11 novembre ?
Le motif de la non reconnaissance est aberrant et absurde : Votre parent est Mort pour la France, nous dit-on, mais il doit être auparavant arrêté avant d’être exécuté et ceci dans des conditions barbares que vous devez prouver.
Comme si 80 ans après les faits il était possible de trouver des preuves relatant les circonstances de la mort : articles de journaux, témoignages…etc.
L’exécutif demeurant sourd à notre demande de reconnaissance nous avons saisi le judiciaire puis le législatif.
Le Conseil d’Etat par une décision du 26 novembre 2007 (N° 272-704) nous a débouté, jugeant qu’il pouvait y avoir une différence de la douleur ressentie à la suite d’une opération de guerre ! Nous pensons plutôt que, devant le nombre concerné (prés de 350 000 à l’époque) il n’a pas voulu s’afficher comme étant « le gouvernement des juges ».
Nous avons alors saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui, après avoir déclaré notre dossier recevable, n’a pu que, sur le fond, se baser sur l’article 14 de la Convention Européenne et nous opposer un refus, cet article ne prenant en compte que les discriminations en relation avec la jouissance d’un droit ou d’une liberté.
On sait quelle aurait pu nous donner satisfaction en application de l’article 12 du protocole additionnel du 4 novembre 2014 qui réaffirme l’interdiction générale de discrimination. Elle n’a pu le faire car la France n’a pas ratifiée cet article qui l’a été cependant par 17 Etats sur 47 du Conseil de l’Europe (Espagne, Finlande…etc).
Au-delà d’un accord de principe de M. Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, dans un fax qu’il m’a adressé le 23 mai 2005 à la veille de notre congrès de Colmar, les gouvernements successifs ont toujours répondu par la négative plus pour des raisons financières que pour des questions de principe.
Nous estimons qu’il ne s’agit là que d’un prétexte.
La crise financière de 2007- 2008 étant passée, les bénéficiaires potentiels ayant beaucoup diminué, le budget consacré aux Anciens Combattants et Victimes de Guerre étant excédentaire nous avons à nouveau saisi le gouvernement avec un peu d’espoir.
Hélas la réponse de M. Marc LAFFINEUR, alors Secrétaire d’Etat aux ACVG, demeurait la même : « il est impossible d’élargir les 2 décrets de 2000 et 2004 sauf cas de barbarie. »
On a toutefois pu constater de la part M. Marc LAFFINEUR des propos encourageants.
N’a-t-il pas déclaré, dans la séance de l’Assemblée Nationale du 8 décembre 2011, en réponse à Mme la Députée de Moselle Anne GROMMERCH : « C’est bien sûr une préoccupation majeure du gouvernement, et il n’est pas question de laisser tomber ce sujet ».
Mieux, en réponse à M. Jacques LECENDRE, Ancien Ministre, Sénateur du Nord, M. Marc LAFFINEUR écrivait : « Fidèle à l’engagement du Président de la République, le Gouvernement demeure favorable à adopter un dispositif d’indemnisation consacrant la reconnaissance de l’égalité des Orphelins de Guerre, quels qu’ils soient (lettre du 20 mars 2012 – N° 2012-0028 – BSQG-QPA). »
L’exécutif et le judiciaire se déclarant impuissants, il restait le législatif à qui, toutes tendances confondues, nous devons exprimer toute notre gratitude :
34 propositions de Loi, des centaines et des centaines de lettres….Mais toujours la même réponse : les décrets de 2000 et 2004 sont spécifiques.
Nous nous sommes alors adressés au Défenseur des Droits. Nous comprenons qu’en votre qualité de Défenseur des Droit vous puissiez dire (Il ne nous semble pas possible de remettre en cause ces décrets sur la base d’une règlementation que nous ne saurions contester, ajoutant dans la même lettre : « j’évoquerai toutefois le dossier tant avec M. Le Président de l’Assemblée Nationale qu’avec le Président du Sénat ». (Lettre du 21 10 2014 – JT/BDICS).
Mais pour être juridiquement encadré votre pouvoir n’en existe pas moins et c’est avec une grande satisfaction que j’ai cette fois pris connaissance de votre lettre du 15 avril 2015 référence (BD/CS) ou vous indiquez :
« Je tiens à vous informer que j’ai pris l’attache tant du Président de Assemblée Nationale que du Président du Sénat pour leur signaler ces différences de traitement »
La différence de traitement… Nous y voilà.
Nous confirmons, étant d’accord avec vous, que nous ne demandons pas l’abrogation du décret de 2004……… Mais, comme il y a différence de traitement, ce décret doit être complété sous une forme juridique, quelle qu’elle soit, du ressort de l’Etat.
Il y a en effet eu faute de l’Etat car celui-ci nous a causé un préjudice, alors que nous ne demandions rien, en réveillant notre douleur. Compte tenu de notre âge, une indemnité équitable n’obérerait pas longtemps le budget de l’Etat !
N’est-il pas intervenu au profit d’autres catégories sociales comme les Harkis par exemple.
Tout récemment, il a accordé une indemnité aux Victimes des attentats de Paris et de Nice, tout simplement par un prélèvement que chacun d’entre nous peut constater sur son contrat d’assurance (5,90€ par an).
Alors, ce qui a été accordé sans faute ne doit-il pas être accordé lorsqu’il y a eu faute, d’autant plus que nous constatons une déviance malsaine dans le vocabulaire utilisé pour commémorer ces actes odieux. On parle désormais de Héros.
Il y a confusion entre les Martyres et les Héros
Etre un Héros suppose un acte positif volontaire et non être une Victime innocente qui peut être qualifiée de martyre.
Or, notre père ou notre mère Mort pour la France sont à la fois des Héros et des Martyres.
Il m’est paru important de signaler qu’une décision positive de l’Etat honorant tous les Morts pour la France (pourquoi pas le 11 novembre, date officielle reconnue comme étant celle des Morts pour la France cf : loi n° 2012-273 du 28 février 2012) ne pourrait être que bien perçue par la population dont on voit bien qu’elle cherche à retrouver ses racines.
L’année 2020 sera une année hautement mémorielle, à dominante gaullienne : cent trentième anniversaire de la naissance du Général de Gaulle, cinquantième anniversaire de sa mort, quatre vingtième anniversaire de l’Appel du 18 juin, sans oublier le geste fort, lors du centenaire du Soldat Inconnu, de l’entrée au Panthéon le 11 novembre 2O2O de M. Maurice Genevoix.
Le Premier Ministre M. Edouard PHILIPPE semble l’avoir bien compris puisque dans sa déclaration de politique générale du 12 juin 2019, il citait le patriotisme comme étant une des valeurs de la France.
L’Etat ne pourrait être que bien jugé s’il nous considérait enfin.
Au moment ou vous allez prochainement cesser vos fonctions (si j’en crois un article de presse), nous comptons de plus en plus sur vous, car nous savons que vos pouvoirs quasi juridictionnels sont garantis par la Constitution ou figure d’ailleurs votre qualité.
Personnellement et quoi qu’il en soit, j’ai été heureux de vous saluer et me rappeler des heures moins moroses que celles que nous vivons actuellement.
Avec toute ma considération.
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